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chon, qui devenait l’organe de cette autre civilisation franco-gauloise appelée à un si brillant avenir. L’infériorité des patois consiste donc en ce qu’ils sont demeurés stationnaires, tandis que les langues ont marché en avant. Malgré leur vitalité, ils sont condamnés à périr un jour, parce qu’ils n’ont plus de raison d’être. Cela est triste à penser, car chacune de ces variétés de langage représentait l’une des nuances du caractère français, et quand on avait parcouru en son entier ce vaste et beau pays appuyé sur deux mers, on admirait la puissante cohésion, l’assimilation parfaite de ces provinces multiples qui, animées d’un même esprit, conservent encore leur patois national.

C’est au double point de vue de l’histoire et de la linguistique que les patois offrent un intérêt tout spécial. Voyez ces radieuses contrées du midi. Quelle sonorité, quelle vivacité dans leur langage! Toujours des voyelles à la fin des mots pour en relever l’accentuation; jamais de ces e muets si mornes qui ressemblent à une feuille morte oubliée au bout d’une branche. Et cette langue si expressive par elle-même, pleine d’images, avec quelle profusion de gestes elle est parlée! La vie déborde chez ces populations, qui semblent chanter et danser en parlant; c’est le soleil, l’azur du ciel et de la Méditerranée qui cause chez le Provençal cette douce ivresse, cette exaltation continuelle qui nous étonne et nous charme. Aussi comme la poésie sied bien aux patois méridionaux! Elle a régné sans interruption dans les belles contrées de la Provence et du Languedoc pendant tout le moyen âge, et elle y vit encore, éternellement jeune, alerte, mélancolique parfois, mais jamais rêveuse, car la tristesse un peu sombre des poètes du nord n’a pu s’y naturaliser. D’ailleurs il y a dans ces patois je ne sais quelle transparence qui ne convient point aux imaginations nuageuses. Ces langues provinciales sont du latin, mais un latin qui a perdu, avec ses flexions grammaticales et sa pureté primitive, son allure grave et soutenue, un latin barbare, mutilé, et qui pourtant a conservé son accentuation prosodique. Ainsi le sentiment musical, si développé chez les populations du midi de la France, a suffi pour donner à des patois informes l’apparence d’une langue délicate et savante. Tout défigurés qu’ils sont, les mots latins ont pris une forme nouvelle, et ce qui en reste est si vivement articulé qu’on les reconnaît encore en dépit de ce qui leur manque. Quand on les voit écrits, ces dialectes ressemblent à du français corrompu; parlés, ils ont une harmonie, un mouvement qui éloigne toute pensée d’analogie avec notre langue. Ils ont beaucoup reçu de la basse latinité, qui a laissé des traces visibles dans l’italien, l’espagnol et le portugais; mais ils n’ont rien emprunté aux dialectes germains, avec lesquels ils ne se