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dirigé. Trop peu connues à raison de leur isolement, les populations industrielles du Jura mériteraient, par la singularité même de leur situation, d’exciter la curiosité ; mais un intérêt d’un ordre plus général se dégage en outre des conditions de leur existence : l’étude de cette branche particulière de la grande famille laborieuse nous montrera sous un jour tout nouveau quelques-unes des graves questions de progrès matériel et moral dont se préoccupe à bon droit notre époque.


I.

Les groupes industriels du Jura sont échelonnés sur le revers occidental des montagnes dans un district qui s’étend en longueur de 30 à 36 kilomètres sur une largeur moindre de moitié. Compris tout entier dans l’arrondissement de Saint-Claude, sauf quelques lointaines dépendances situées dans le Bugey sur les confins du département de l’Ain, ce district embrasse les cantons de Saint-Claude et de Morez, une partie de celui de Saint-Laurent et quelques rares localités de celui de Moirans. Il a son centre dans des vallées profondes, d’où il remonte jusqu’aux villages le plus haut placés dans la montagne, à des altitudes de 1,100 et 1,200 mètres. On ne rencontre guère dans toute cette région qu’une terre froide ou pierreuse, peu propre à la culture des céréales. Les pâturages et les bois y forment, il est vrai, une ressource précieuse, mais qui nécessite de larges étendues de terrain pour nourrir un petit nombre d’habitans. Heureusement pour la contrée, l’industrie est venue y déposer des germes bien autrement féconds, et dont le développement a été surtout profitable aux localités les plus déshéritées. Aux extrémités du district, vers le sud et vers le nord, deux cités, Saint-Claude et Morez, sont les points d’où part l’initiative industrielle, où se rassemblent les produits du travail et où se traitent les affaires. Chacune d’elles peut se flatter d’avoir en propre ses aptitudes et ses applications, son rayonnement, son organisation intérieure et ses procédés commerciaux.

La petite cité de Saint-Claude, jetée comme au hasard dans un site capricieux et tourmenté, est une des plus pittoresques non-seulement du Jura, mais de toutes les régions montagneuses de la France. Étroitement pressée au fond d’un ravin par des monts qui s’entre-choquent et paraissent se confondre, elle n’a pas même trouvé sur les bords de deux torrens, le Tacon et la Bienne[1],

  1. La Bienne, qui se jette dans l’Ain, fort au-dessous de Saint-Claude, sert au transport des bois sur un espace de 20 à 25 kilomètres.