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qui font ici leur jonction, une langue de terre où s’établir. Sa rue principale est juchée à cent cinquante pieds plus haut, sur une espèce de long redan ou de balcon naturellement creusé dans le flanc de la montagne. De là descend jusqu’au fit des deux torrens une autre rue dont la pente est des plus raides, tandis que quelques maisons éparses s’efforcent de grimper çà et là le long du coteau. La vallée s’élargit un peu à mesure qu’on remonte la Bienne ; d’élégantes habitations, quelques fabriques entourées d’une végétation luxuriante, prêtent au paysage des traits vivans et gracieux. Le génie de notre temps, si fécond en travaux d’utilité publique, a mis son empreinte sur ce paysage d’un aspect déjà si fortement accentué. D’un côté, un pont suspendu, jeté avec une extrême hardiesse sur un abîme où piétons et voitures étaient forcés de plonger, il n’y a pas encore trente ans, joint la route de Lons-le-Saulnier à la principale rue de Saint-Claude. D’un autre côté, un viaduc en pierre, aux arcades superposées, dessine ses lignes sévères en parfaite harmonie avec le grave caractère du site. La plupart des constructions de l’intérieur de la ville sont, il faut l’avouer, bien peu en rapport avec ces travaux grandioses. Rien de plus mal entendu en général et de moins conforme aux exigences de la salubrité que la disposition des maisons occupées par les familles ouvrières. Il n’est pas de cour par exemple qui ne soit traversée par un ruisseau fangeux où se déversent des tuyaux en bois de sapin entr’ouverts de toutes parts.

Au sein des contrastes qu’offre l’aspect des constructions, Saint-Claude est le siège d’un travail homogène dans ses applications, quoique revêtant mille formes diverses. Le bois est le fond principal d’où sortent tous ces ouvrages de tournerie si connus sous le nom d’articles de Saint-Claude. Cette industrie, dont l’origine ne saurait être indiquée avec précision, avait grandi sous la protection de la puissante abbaye de Saint-Claude qui, du Ve siècle jusqu’en 1790, exerça un pouvoir presque souverain sur tout ce pays, où elle possédait d’immenses territoires forestiers. Peut-être, à l’intérieur du cloître, les religieux ont-ils été les premiers à mettre en œuvre les buis séculaires dont les collines jurassiennes étaient recouvertes, puis ils auront introduit ce genre de travail chez les bûcherons pour occuper les loisirs si longs de l’hiver. La tournerie s’étendit ensuite à diverses essences de bois indigènes, et plus tard aux bois exotiques ; elle y joignit enfin graduellement la corne de bœuf et de buffle, l’os, l’ivoire et diverses applications de l’écaille et de la nacre. Aujourd’hui, parmi les matières premières qui sont prises hors du Jura, il faut ranger le buis, dont l’ancien fonds a été épuisé. Cet arbuste, qui croît avec tant de lenteur, vient presque exclusivement