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blocs de bois qui en proviennent, et qui reçoivent au domicile de l’ouvrier, à l’aide d’un tour dont les mouvemens se règlent avec le pied, des préparations plus ou moins compliquées et parfois très délicates. Cette seconde partie du travail, qui emploie l’immense majorité des bras, se répartit dans les campagnes, mais de telle sorte que chaque commune, chaque village, a sa spécialité où il excelle. Le tourneur rapporte entièrement finis les objets qu’il est venu prendre à l’état d’ébauchons. Le dernier apprêt, le polissage, le vernissage, il les fait exécuter sous ses yeux, soit par sa femme, soit par ses enfans. Ces élaborations et plusieurs autres, celle par exemple qui consiste à rattacher, ou, suivant le mot technique, à encabiner les grains des chapelets, comportent le concours de tous les âges et de toutes les forces.

Grâce à cette organisation, qui le laisse entièrement maître de sa besogne, le tourneur de Saint-Claude remplit un rôle qui échoit bien rarement ailleurs aux ouvriers. C’est à lui que revient le soin de chercher les simplifications, les perfectionnemens dans le travail. Les fabricans s’occupent de la vente, voilà leur principale affaire. Certes il en est quelques-uns qui sont sortis du sillon tracé par la coutume, et dont l’initiative a exercé une très heureuse influence sur les progrès de l’industrie saint-claudienne[1]. À dire vrai pourtant, cette intervention des patrons demeure un fait exceptionnel ; les modifications journalières sont dues aux ouvriers, et il en est parmi eux qui ont acquis dans le pays une véritable renommée d’inventeurs, sans pour cela en être devenus plus riches. L’un des plus ingénieux, M. Pernier, plus connu dans la montagne sous le surnom de Coco, est l’inventeur du bouche-bouteilles et de diverses autres applications d’une utilité reconnue.

L’ouvrier, travaillant chez lui et à la tâche, dispose de son temps comme il veut ; mais il reste en général devant son tour de douze à quatorze heures par jour. On estime qu’il peut gagner en moyenne de 3 francs à 3 francs 50 centimes, à Saint-Claude du moins, où s’exécutent les ouvrages les plus délicats. Dans les campagnes, la moyenne flotte entre 2 francs 50 centimes et 3 francs ; elle n’arrive guère au-dessus de 1 franc 75 centimes dans le Bugey. Le salaire des femmes est inférieur d’au moins un tiers à celui des hommes. Celui des enfans varie selon leur âge ; mais ce qu’il faut faire remarquer, c’est que depuis une quinzaine d’années, tandis que le gain des hommes s’est accru d’environ un tiers, celui des femmes et des enfans a doublé, preuve certaine que l’on a de plus en plus recher-

  1. Certaines transformations des mieux conçues et des plus avantageuses, soit dans l’outillage, soit dans les procédés de fabrication, sont dues notamment à MM. Dalloz du Martinet, Regad, Victor Desmaret.