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ché leur travail. Parmi les ouvrages les moins lucratifs, on peut citer la fabrication du chapelet, où l’encabinage des grains rappelle un peu, par la monotonie des mouvemens, quoique avec plus de nonchalance dans les allures et avec un outillage bien plus primitif, une des opérations de la fabrication des épingles connue en Normandie sous le nom d’entêtement, et que nous avons eu l’occasion de décrire ici même en détail[1]. Le millier de grains à encabiner se paie communément tout au plus de 50 à 70 centimes. La fabrication de la pipe en racine de bruyère est le travail le plus lucratif.

L’industrie de Saint-Claude, qui doit lutter non-seulement contre des fabriques françaises, mais encore contre des fabriques anglaises et allemandes, est forcée, pour subsister, d’offrir des conditions exceptionnelles de bon marché. En France, elle se trouve en concurrence avec Paris pour beaucoup d’articles de la tournerie proprement dite, avec Saumur pour le chapelet, avec Dieppe et Méru pour les objets en ivoire ou en os, et même, en ce qui concerne la dernière de ces deux cités, pour quelques ouvrages en bois. Saint-Claude se renferme assez volontiers dans le cercle des articles les plus courans, abandonnant à ses rivales de l’intérieur les genres qui exigent un labeur plus délicat. C’est là un tort évident, je ne dis pas pour l’ivoirerie et l’ossellerie, peu importantes chez elle, mais pour le chapelet, où il lui serait si facile d’exceller dans le travail d’art comme dans le travail courant, et pour certaines branches de tournerie ouvrée et sculptée si accessibles aux aptitudes locales. Le succès incontesté qu’on a obtenu dans les genres les plus riches de la spécialité des tabatières n’est-il pas de nature à stimuler les efforts ? Évidemment Saint-Claude renonce ici bénévolement à une part légitime de son domaine. La lutte contre les fabriques étrangères est plus énergique. Il est vrai que Saint-Claude exporte près des quatre cinquièmes de sa fabrication, ne redoutant point l’Angleterre sous le rapport du bon marché, et surpassant l’Allemagne par la qualité de ses produits. Les pipes en racine de bruyère donnent lieu à une exportation considérable. L’Angleterre, qui n’en fabrique point, tire de Saint-Claude toutes celles qu’elle achète, hormis quelques genres sculptés qui viennent de Paris ; elle en consomme beaucoup chez elle, et en envoie peut-être davantage au dehors, surtout aux États-Unis d’Amérique, où, dans ces nombreuses armées qui ont surgi tout à coup sûr le sol de la grande république, il n’est guère de soldat qui n’ait dans sa poche une pipe de Saint-Claude[2].

  1. Voyez la Revue du 15 novembre 1851.
  2. Au moment de la dernière exposition universelle de Londres, on a pu voir plusieurs de nos compatriotes rapporter d’Angleterre des pipes en racine de bruyère ; c’étaient des produits français qu’ils avaient pris pour des curiosités britanniques.