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encore dans les duchés, lorsque les amours-propres et les passions ne s’étaient point encore portés aux extrémités, quand la Prusse et l’Autriche, encore mal assurées de l’abstention de la France, ne réclamaient que l’exécution des engagemens de 1851, admettaient le traité de 1852, ne parlaient que de se saisir d’un gage, alors encore, nous en sommes convaincus, tout demeurait possible par la paix. Or c’est en janvier que se sont produites et l’offre d’action commune de l’Angleterre et la déclaration d’abstention de la France. Il s’agissait, au milieu de janvier, de prévenir l’entrée des Prussiens et des Autrichiens dans le Slesvig ou de les y arrêter, avant toute effusion de sang, en soumettant le règlement du conflit dano-allemand à une conférence européenne. Lord Russell conviait la France à une manifestation en ce sens concertée avec l’Angleterre. M. Drouyn de Lhuys interrogea lord Russell avec une louable netteté. — S’il s’agissait d’une manifestation dans le genre de celle qui avait été tentée pour la Pologne, le ministre français trouvait la démarche inutile. — Lord Russell chargea lord Cowley de proposer un concert et une coopération pour prévenir l’occupation du Slesvig. M. Drouyn de Lhuys demanda ce qu’on voulait dire par ce concert et cette coopération. Lord Russell se hâta de répondre : Il s’agit, si c’est nécessaire, de donner une assistance matérielle au Danemark. C’est dans cette partie de la correspondance du blue-book qu’est, suivant nous, le nœud du drame ; c’est alors, à notre avis, que l’occasion s’est offerte à la France de prévenir le démembrement du Danemark et la rupture de l’équilibre du Nord, de disloquer l’alliance des puissances réactionnaires, de consolider au contraire l’alliance occidentale. Si la proposition anglaise n’eût pas été déclinée (nous avons cité, il y a quelques mois, d’après le blue-book et la discussion du parlement, les termes du refus de la France), la Prusse et l’Autriche eussent été contenues par la perspective d’une action commune de la France et de l’Angleterre, et les grands objets de l’alliance eussent été obtenus pacifiquement. Que si, contre toute vraisemblance, la guerre eût éclaté et nous eût conduits sur le Rhin, elle eût mis d’emblée en nos mains la compensation à laquelle nous aurions eu droit. Il nous semble qu’il y aurait eu de l’enfantillage à demander d’avance le consentement de l’Angleterre à une conquête qui eût été la première conséquence de la guerre que l’Angleterre eût entreprise de concert avec nous. D’abord la constitution britannique ne permet point aux ministres anglais de contracter des arrangemens éventuels de cette nature ; puis, le premier effet, l’effet logique et nécessaire d’une telle guerre, étant de nous faire rentrer dans notre frontière naturelle, peut-on admettre que la dernière conséquence eût été de nous en faire sortir ? L’Angleterre ne peut point nous inviter à une action commune d’où résulterait un conflit avec la Prusse, sans accepter implicitement la restauration de la France dans ses frontières naturelles. Aussi avons-nous eu raison de dire que l’on a manqué, au mois de janvier dernier, un coup de fortune en repoussant l’invitation