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précise et pressante de l’Angleterre à une action commune. De deux choses l’une : ou par impossible la guerre eût éclaté, et dans ce cas on aurait eu la certitude de la compensation dont on s’est montré plus tard préoccupé, ou bien, et c’est ce qui serait infailliblement arrivé, l’Autriche et la Prusse eussent reculé devant l’union résolue de la France et de l’Angleterre, on eût prévenu une inhumaine effusion de sang, on eût enlevé à la Prusse l’occasion et le moyen de prendre tout à coup en Europe une prépondérance et une initiative inquiétantes, on eût épargné à la France le déboire de se trouver exclue, pour la première fois de son histoire, de l’arrangement des affaires du Nord.

Le bilan en effet de la politique qui a prévalu, personne ne le saurait nier, est tristement négatif. Nous n’avons pas de compensation territoriale, et la situation du nord de l’Europe est profondément altérée, en dehors de toute participation de la France, par des arrangemens que la Prusse et l’Autriche débattent à Vienne en tête-à-tête. Peut-on en vérité contempler un tel résultat avec une complaisance satisfaite ? On essaie cependant d’invoquer pour la France deux motifs de satisfaction— Il est très heureux, dit-on, que nous ayons évité une guerre dans laquelle nous eussions fait pour rien les affaires de l’Angleterre, et nous devons être très fiers de la consistance avec laquelle nous avons maintenu le principe de notre droit nouveau, le principe dès nationalités. — A propos de la guerre, on dit que nous en eussions payé tous les frais et porté tout le poids, tandis que l’Angleterre se serait promenée sur les mers en s’emparant, comme d’une proie facile, des navires des belligérans. — Si l’hypothèse de la guerre avait le fondement sérieux qu’on cherche à lui donner, l’argument serait contradictoire de la part de ceux qui ont tant reproché à l’Angleterre de n’avoir point voulu concourir avec nous à la défense de la Pologne. Si la guerre se fût engagée à propos de la Pologne, et si l’Angleterre s’y était associée, le partage des rôles n’eût-il pas été précisément celui contre lequel on s’élève aujourd’hui ? La guerre n’eût-elle pas été continentale ? La France n’eût-elle pas été obligée de combattre la Prusse et la Russie, tandis que l’Angleterre se fût contentée d’une promenade sur les mers ? Une raison qu’on trouvait mauvaise l’an dernier n’a pu devenir bonne cette année. Quant à l’argument tiré du principe des nationalités, les faits se chargent aujourd’hui d’en prouver l’inanité. On voit maintenant ce que devient le prétexte des nationalités entre les mains de la Prusse et de l’Autriche. Dans la politique de puissances qui ne s’appuient que sur la force, les idées générales ne sont qu’une machine à faire dès dupés. Quand Frédéric II et Catherine accomplirent le premier démembrement de la Pologne, l’idée à la mode du temps était la tolérance. On attaqua les Polonais au nom de la tolérance, comme on a attaqué le Danemark au nom de la nationalité. Un esprit aussi vif que celui de Voltaire se laissa prendre à cette hypocrite amorce. Il n’y a pas lieu de se vanter, il faudrait plutôt rougir, si l’on a cru