Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/102

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

aux autorités polonaises que si une commission entrait en Courlande, ils y entreraient aussi, étant bien résolus à empêcher l’incorporation du duché à la république[1]. » On s’agitait beaucoup en effet à Saint-Pétersbourg dans" l’intérêt du comte de Saxe. Lefort et ses amis redoublaient d’instances auprès de la tsarine, assiégeaient Ostermann, s’efforçaient de gagner Menschikof ; mais que d’intérêts en jeu dans cette affaire ! La Russie ne demandait pas mieux que de soutenir Maurice à la condition de compromettre le roi son père auprès des états de Pologne. Le 31 décembre, les chefs du ministère moscovite, Menschikof, Ostermann, Apraxin, Galitzin, conviennent de présenter à l’impératrice un rapport favorable au comte de Saxe, pourvu toutefois que le roi de Pologne ait un plan de conduite bien arrêté, c’est-à-dire sans doute qu’il dise tout haut ce qu’il faisait dire tout bas, et marche ouvertement d’accord avec la Russie. Lefort, désolé, ne peut prendre cet engagement pour son maître ; il y a plusieurs semaines qu’il demande sur ce point des instructions précises et ne reçoit aucune réponse. C’est alors que l’ambassadeur saxon, dans la chaleur de son zèle pour Maurice, imagine une combinaison qui assurera l’appui de la tsarine au duc-élu de Courlande, sans qu’on ait à s’inquiéter désormais des tergiversations du roi de Pologne et de ses ministres.

Lefort, dans une de ses dépêches de 1724, avait mandé au roi de Pologne un événement assez singulier dont on s’occupait beaucoup à Saint-Pétersbourg. On sait que l’impératrice était Allemande et de très basse origine. « Sa mère était une malheureuse paysanne nommée Erb-Magden, du village de Ringen en Esthonie, province où les peuples sont serfs… Jamais elle ne connut son père… Le vicaire de la paroisse l’éleva par charité jusqu’à quatorze ans ; à cet âge elle fut servante à Marienbourg chez un ministre luthérien de ce pays[2] « Quand le tsar Pierre l’épousa en 1707 après la prise de Marienbourg à la suite des aventures que chacun connaît, elle avait laissé dans son pays quelques parens de sa mère, des oncles ou des cousins. Dix ans plus tard, l’un d’entre eux, nommé Carlsamuelovitz, se fit présenter au tsar, alors que celui-ci, revenant de son voyage d’Allemagne, traversait la Courlande pour rejoindre ses états. C’était un meunier qui gagnait péniblement sa vie au service d’un seigneur courlandais. Le tsar, l’accueillant avec bonté, lui avait fourni les moyens de se rendre en Russie. Dans quelle partie de la Russie ? On ne sait. Ce qui semble probable, c’est que la tsarine épiait le moment de ramener son parent à Saint-Pétersbourg. Après son couronnement comme impératrice[3], elle jugea sans doute l’occasion

  1. Denkwürdigkeiten der Grâfln Maria Aurora Kœnigsmark… Voyez t. II, p. 118.
  2. Voltaire, Histoire de Charles XII, livre V.
  3. Catherine, qui avait épousé Pierre le Grand en 1707, ne fut couronnée qu’en 1724.