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que nous possédions sur l’histoire des temps primitifs de l’humanité[1].

L’autre service qu’elle nous rend, moins brillant peut-être en apparence, n’a pas moins d’importance au fond. Par la comparaison de cette multitude d’idiomes répandus dans le monde entier, elle nous fait connaître le mécanisme même et les procédés naturels du langage. C’est à cette étude surtout qu’est consacré le livre de M. Max Müller. On y trouve réunis et condensés tous les résultats obtenus jusqu’ici par ces travailleurs infatigables qui depuis quarante ans fouillent la mine nouvelle. Ils y sont, mais choisis par une critique sûre, éclairés par leur réunion même, et pour ainsi dire agrandis par les vues d’ensemble de l’esprit lumineux et philosophique qui a pris soin de les rassembler. La première impression qu’on éprouve en lisant ce beau livre, surtout si l’on vient de quitter pour lui les ouvrages des savans grecs ou latins, c’est une admiration profonde et sans réserve pour la science moderne, c’est qu’elle est plus sûre dans ses méthodes et ses procédés, plus véritablement hardie, quoiqu’elle fasse profession de fuir les hypothèses, surtout qu’elle est plus féconde dans ses résultats et plus vaste dans son horizon que la science antique. Que nous sommes loin du temps où l’on admirait les grammairiens d’Alexandrie et les stoïciens de Pergame discutant sur l’analogie avec des subtilités de raisonnement et des tours de force de dialectique ! Nos savans d’aujourd’hui n’ont pas, comme ceux d’autrefois, abordé ces questions délicates uniquement armés de la finesse de leur esprit. Ils se sont, avant de rien décider, munis de connaissances immenses. Ils ont étudié toutes les langues en usage sur la surface du globe. Leur dignité ne les a pas empêchés de descendre à l’examen de ces patois informes qui souvent leur apprennent plus de choses que les langues littéraires et parfaites. Ils savent les procédés grammaticaux de ces cent dix-sept dialectes que parlent les hordes innombrables de Tartares qui errent de la Sibérie jusqu’au Japon. Ils connaissent le chinois, cette langue monosyllabique qui, grâce à son immobilité, est pour eux un témoin précieux du passé, et les idiomes touraniens, qui, pour la plupart, en sont restés aux premiers efforts de l’esprit pour accoupler ensemble des monosyllabes. Ils remontent ensuite aux langues éteintes, et non-seulement à celles qui, comme le grec et le latin, nous ont laissé des chefs-d’œuvre, mais à celles aussi qui, comme l’osque, le samnite, l’ombrien ou l’étrusque, n’existent plus que sur quelques inscriptions à demi effacées ou dans l’exergue fruste de quelques vieilles monnaies. Ils ne négligent pas les idiomes nés, comme le provençal, de la corruption du latin, pourriture féconde, d’où vont naître des langues parfaites. Ce n’est pas assez encore : ils veulent fouiller aussi les anciennes langues de l’Orient. De l’indoustani ils remontent au pâli, la langue sacrée de Ceylan, et du pâli au sanscrit, qui n’est

  1. Voyez, dans la Revue du 1er février 1864, les Ancêtres des Européens aux temps anté-historiques.