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cette rapide campagne. L’année suivante, il reparaît à son poste, d’abord sous le comte de Belle-Isle, ensuite sous le duc de Noailles. Le prince Eugène, chargé de gloire et d’années, est dans les rangs ennemis ; on dirait que le génie de Maurice fait explosion au choc de son vieux général. Il débute par un trait de maître. Eugène avait coupé l’armée française et la menaçait des deux côtés ; Maurice le déloge, lui prend son camp, opère la jonction des corps, sauve l’armée tout entière. Quelle verve quand il raconte la première charge ! « Rien ne fut plus fier que ce moment-là. » Et lorsqu’il annonce au duc de Noailles la position imprenable où il vient de s’enfermer pour débloquer Berwick et obliger Eugène à la retraite : « Monsieur, je me suis accommodé comme dans une boîte, et je me crois imprenable… Vous pouvez affirmer à M. le maréchal que, s’il veut, je serai demain à six heures du matin au-delà d’Ettlingen, prêt à lui ouvrir les barrières. » Établi cinq jours après dans le camp même d’où le prince Eugène nous tenait en échec, il a le droit d’écrire au duc de Noailles :


« Au camp de Graben, le 9 mai 1734.

« Monsieur, quoique les belles actions parlent d’elles-mêmes, je me trouve dans le cas d’être obligé de me louer moi-même. Je n’ai ni parens, ni amis A la cour, et une fausse modestie dégénère en stupidité. Vous ne sauriez douter, monsieur, que je ne serve le roi uniquement par honneur. La fortune m’a favorisé ; j’ai eu le bonheur de faire une action d’éclat qui est de la dernière importance pour l’avantage et la gloire des armes du roi. Sans moi, l’on aurait peut-être vu périr inutilement la plus belle partie des troupes, et peut-être aurait-on été contraint de se retirer. Le prince Eugène fuit et tout cède à la gloire de vos armes. C’est moi qui vous en ai frayé le chemin ; c’est moi qui ai trouvé les moyens de pénétrer dans des lieux inaccessibles, qui ai disposé les troupes, qui ai attaqué, conduit et vaincu à la tête de vos grenadiers,… en m’exposant à des périls qui font encore frémir ceux qui en ont été les témoins. Vous ne sauriez mieux faire, monsieur, que de récompenser les belles actions, parce que ces récompenses donnent de l’émulation. Il y a quatorze ans que j’ai l’honneur d’être au service du roi en qualité de maréchal-de-camp ; j’en ai près de quarante, et je ne suis pas d’espèce à être assujetti aux règles et à vieillir pour parvenir aux grades… Si vous y ajoutez le titre d’étranger, vous trouverez des raisons suffisantes pour m’avancer et pour porter le roi à m’accorder cette grâce, en y ajoutant l’agrément qui met le prix aux choses.


La récompense qu’il sollicitait avec cette franchise militaire ne tarda point à venir : au mois d’août 1734, Maurice était nommé lieutenant-général des armées du roi. Il rendit encore des services pendant la campagne de 1735 ; il eut surtout l’occasion de voir de près l’impéritie des généraux en chef. Avec quelle amertume il s’en