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plaint au duc de Noailles : « Je vous entretiendrais, monsieur, du nombre des fautes que nous avons faites, s’il était nécessaire de démontrer la misère de notre conduite. » Il savait bien par expérience ce que valaient nos soldats, il avait vu briller l’épée de la France au soleil des batailles, et il souffrait de la voir en des mains inhabiles. Ah ! qu’il est impatient de pouvoir enfin la saisir !

L’heure n’est pas venue encore ; il faut traverser une nouvelle période de désœuvrement et d’ennuis. Un armistice est signé le 5 novembre 1735 entre les parties belligérantes, et des négociations sont ouvertes qui amèneront la paix du 3 octobre 1736. Maurice recommence à errer de Paris à Dresde. Il se réconcilie avec le roi. son frère, et passe auprès de lui l’hiver qui suit la conclusion de la paix. C’est là qu’il apprend la mort du vieux duc de Courlande (4 mai 1737). Il essaie encore de maintenir ses droits ; il veut empêcher du moins la prescription et réserver les chances de l’avenir. Voici ce qu’il écrit aux députés des états de Mitau après leur avoir exprimé ses sentimens de condoléance sur la mort du vieux duc et les embarras de la crise prochaine : « Vous aviez prévu cette triste situation, et vous avez fait en ma faveur une élection éventuelle qui devrait avoir son effet à présent, si la fatalité n’était inséparable des choses humaines… Quant à moi, je me flatte que vous me rendrez assez de justice pour croire que je me ferais une félicité de mourir en combattant pour vous, s’il était question de combattre. Ce serait m’acquitter en quelque façon de ce que je vous dois. » On sait que le duché de Courlande fut donné alors, sous l’influence d’Anna Ivanovna, impératrice de Russie, à un aventurier d’un autre genre, à ce paysan courlandais devenu duc de Biren, qui plus tard gouverna les Moscovites comme régent de l’empire, et, précipité du souverain pouvoir par Elisabeth, fut exilé en Sibérie. Ne semble-t-il pas que le duché de Courlande porte malheur aux concurrens de Maurice ? Biren ira retrouver dans les neiges la tombe de Menschikof.

Cependant le comte de Saxe est revenu à Paris dans l’automne de 1737, et l’on ne devinerait jamais à quels emplois va le réduire l’oisiveté. Auguste III, très curieux des nouvelles de Paris et continuant en cela des traditions de famille, trouvera dans Maurice un chroniqueur officiel. Oui, voilà le futur vainqueur de Fontenoy devenu collecteur d’anecdotes au service de la cour de Dresde. Il remplira ainsi ses loisirs, ce souverain sans couronne, ce général sans armée ; il recueillera les on-dit, il répétera les scandales, il sera l’écho de la cour et de la ville. Les deux bourgeois de Paris, greffiers des rumeurs publiques, l’avocat Marais et l’avocat Barbier, ne savaient pas que le duc de Luynes s’était donné la même besogne dont ils s’acquittaient si minutieusement ; combien ils eussent été