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plus fiers encore en apprenant que le duc-élu de Courlande et de Sémigalle leur faisait concurrence ! Et ce n’était pas le roi de Pologne qui avait imposé cette tâche à son frère ; Maurice l’avait choisie lui-même. « Mon chroniqueur est mort, lui écrit un jour Auguste III, veuillez m’en trouver un parmi les lettrés de Paris. » — « Eh ! vive Dieu ! ce sera moi, » répond le disciple d’Adrienne Lecouvreur. — Il y met pourtant ses conditions ; voyez ce billet du 5 décembre 1737 adressé au comte de Brühl, premier ministre du roi de Pologne :


« Lundi prochain, qui sera le 9, je commencerai à envoyer à votre excellence les nouvelles de Paris. Je les écrirai moi-même, mais j’ai bien des conditions à faire. Premièrement, je veux être lu, car je ne veux pas en être pour mon écriture, mon encre et mon papier, et si personne ne me lit, je veux au moins que ce soit Pétrouchon, à qui je vous prie de faire mes complimens.

« Mes nouvelles seront adressées au roi, mais elles seront sans signature ; ainsi il n’y aura pas de réponse à me faire. Je veux que le roi les lise, et après lui la reine, après quoi votre excellence les livrera à qui il lui plaira. La reine en tiendra le cas secret et ne fera que s’en confesser une fois l’an à Pâques. Je mettrai cependant un manteau aux choses, qui à la vérité pourrait bien n’être qu’un manteau d’été, c’est-à-dire de gaze ; mais d’envoyer des nouvelles de Paris et de ne pas dire des folies, autant vaudrait-il se taire. Votre excellence reconnaîtra aisément à tout ce que j’exige là le caractère babillard des gazetiers. »


Le directeur des archives saxonnes, placé à la source des renseignemens, aurait dû nous donner ici quelques détails sur ce Pétrouchon, qui ne sait pas encore lire, on va le voir, et que Maurice réclame gaîment pour lecteur, à défaut du roi et de la reine. Il savait bien qu’il n’aurait pas besoin de recourir à Pétrouchon. Les conditions du gazetier babillard furent acceptées avec reconnaissance. « Votre excellence, lui répond le comte de Brühl, peut être sûre que le roi lira toujours le premier votre feuillet, et après lui la reine, — excepté les cas où le manteau d’été dans lequel vous prétendez envelopper certaines particularités et expressions trop gaillardes ne suffirait pas pour des oreilles modestes. Après cela, vos nouvelles, monseigneur, amuseront aussi vos autres amis, et pour peu qu’elles soient intéressantes, elles trouveront assez de lecteurs, — jusqu’à Pétrouchon, quand il aura appris à lire. » Cette réponse du comte de Brühl est accompagnée d’un post-scriptum du roi : « Si aux particularités divertissantes il se trouvait ajouté quelquefois des anecdotes de la cour où vous êtes, et qui eussent influence dans les affaires, ce ne serait que mieux. » Tel est donc le programme du conteur : particularités divertissantes, nouvelles de cour, indications politiques. Nous ne savons si l’on publiera un jour les chroniques