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chimique, à l’instar de nos mortiers modernes dans la fabrication du béton. Ainsi s’est formé et déposé le marbre brèche, qui de toute antiquité a été recherché par l’architecture. Celui du Rondone, ou, pour le désigner par le nom sous lequel on le connaît dans les arts et le commerce, celui de Seravezza, est le plus estimé. Il prend un beau poli et affecte une infinité de tons où dominent toutefois le blanc, le rouge, le violet. La variété la plus recherchée est celle dite fleur de pêcher à cause de sa couleur dominante. La brèche de Seravezza est connue plus particulièrement en Toscane sous le nom de mischio, qui lui vient du mélange des élémens variés qui la composent, ou d’affricano par analogie avec une brèche pareille fort célèbre que les Romains avaient exploitée en Afrique en même temps que celle de Seravezza, et qu’ils employaient surtout pour leurs colonnes. Le mischio de Seravezza a été aussi fort recherché au moyen âge et à l’époque de la renaissance. Dans la plupart des vieilles églises d’Italie, les piliers, les frontons et les colonnettes des chapelles, les revêtemens et les placages intérieurs sont faits avec cette brèche précieuse. Depuis, le goût a changé, et ces marbres ont injustement perdu la faveur dont ils jouissaient. Des deux carrières du Rondone, une seule est en ce moment exploitée[1].

Quand on entre dans la vaste excavation, le bruit particulier de la scie d’acier sans dents glissant à travers le marbre sur un lit de sable arrosé par un filet d’eau, l’éclat fumeux des lampes, les coups de marteau du mineur tombant répétés sur la pointerolle et le ciseau, ou frappant en cadence sur la tête des fleurets ; par momens, l’explosion d’une mine retentissant dans la caverne et en ébranlant les parois, puis les cris des ouvriers, ceux-ci pressant sur les leviers, ceux-là chassant les coins de fer, ou disposant les rouleaux de bois sous les blocs de marbre, tout cela produit une vive impression sur le visiteur. Au moment où je pénétrai dans la carrière du Rondone, de jeunes filles au teint frais en sortaient pieds nus, la robe retroussée, un foulard noué autour des cheveux, portant dans un panier sur leur tête les déblais provenant des travaux. Elles se suivaient à la file, et, arrivées au dehors, jetaient nonchalamment le contenu de leur canestre sur le tas commun où s’amoncelaient les éclats de

  1. C’est de là que sont sorties les dix-huit colonnes monolithes qui doivent orner la façade du nouvel Opéra de Paris : on était en train de les extraire à l’époque où je visitai le Rondone ; aujourd’hui elles sont rendues à destination, et on les polit sur le tour dans râtelier du marbrier. La brèche de Seravezza a été fort employée dans les embellissemens de Versailles en placages, colonnes intérieures, dessus de table, etc. On la rencontre également au Louvre. À Florence, outre un grand nombre d’églises, elle orne le palais Pitti, et a servi à tailler les deux obélisques de la place de Sainte-Marie-Nouvelle.