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à trois kilomètres de Carrare, tandis que Fantiscritti et Colonnata partent presque des faubourgs de la ville. On trouve à gauche de la route le gracieux village de Torano, pittoresquement perché sur une hauteur, et dont la vieille église et les toits de tuile se détachent sur le fond du tableau. Au pied du riant coteau sont des scieries et des frulloni d’une construction toute primitive ; les appareils sont mis en mouvement par une roue pendante ou une grossière turbine qui empruntent leur force à l’eau du torrent. On passe devant une vallée transversale, celle de Pescino, où sont aussi de nombreuses carrières. On les laisse derrière soi, et bientôt on arrive à une première exploitation, — la Mossa, — qui marque la première étape dans le parcours des travaux de Ravaccione. C’est de là, ainsi que de la carrière voisine de la Bettuglia, que l’on tire le marbre statuaire le plus renommé aujourd’hui à Carrare. Il ne se vend pas moins de 20 francs le palme, soit 1,280 francs le mètre cube, sur les lieux, à pied d’œuvre. Le jour où je visitai l’excavation, un beau bloc de 800 palmes gisait à terre, attendant les bouviers. La valeur du statuaire indique le haut prix que l’on attache à un bloc bien homogène et cristallin, pur et sans mélange, et les bénéfices élevés qu’en peut procurer l’exploitation. Le marbre blanc clair descend bien vite à des prix moitié moindres, et cependant le coût de l’extraction et du transport est absolument le même que pour le statuaire.

Si l’on continue à remonter dans le vallon de Ravaccione, on rencontre à Polvaccio une ancienne carrière romaine qui a fourni jusqu’à ces derniers temps un marbre statuaire très renommé[1]. Le roc conserve encore la trace des outils d’extraction ; la marque horizontale que le travail a laissée sur la pierre de distance en distance indique bien le mode d’exploitation adopté par les anciens. On dégageait la masse sur cinq de ses faces. La face antérieure, la face supérieure et les deux faces latérales étaient préparées par la précédente excavation. La face postérieure était ouverte à la pointerolle, puis, avec le ciseau, des pinces et des coins, on faisait sauter le

  1. C’est de là que les Romains ont tiré le marbre du Panthéon, de la colonne Trajane, de l’arc de triomphe de Titus et de celui de Septime-Sévère. L’Apollon du Belvédère est également en marbre de Polvaccio. Les blocs qui ont servi à Michel-Ange pour le David et pour les célèbres statues allégoriques couchées qui ornent les tombeaux de Julien et de Laurent de Médicis ont été aussi extraits de ces carrières. Enfin on peut citer encore comme sculptés en marbre de Polvaccio le Neptuno de l’Ammanati et le groupe d’Hercule assommant Cacus qui ornent la place du Palais-Vieux à Florence. On ne dit pas si c’est à Polvaccio que s’adressa Louis XIV, mais nous savons que les marbres fournis pour le tombeau de l’empereur, une des constructions modernes qui en ont consommé le plus, ont été tirés de Colonnata, qui en a aussi fourni beaucoup aux Romains.