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bloc, en dégageant ainsi violemment la face inférieure. Jusqu’au XVIIe siècle, ce mode d’opérer a été en usage dans l’exploitation du marbre. À cette époque, la poudre a été appliquée aux mines et aux carrières. Les acides qui attaquent et dissolvent les calcaires sont ensuite venus faciliter l’action de la poudre. En versant de l’acide sulfurique (vulgairement huile de vitriol) dans le canal ménagé par le fleuret du mineur, on en a singulièrement agrandi le fond : on a formé ainsi une véritable poche qui, chargée de quantités considérables de poudre, a détaché des blocs énormes. À Marseille, pour les travaux du nouveau port et le nivellement de l’ancien lazaret, au Teil, près de Montélimart, dans l’extraction des calcaires à ciment et à chaux hydraulique, on a disloqué des montagnes entières. La poudre employée par centaines de kilogrammes dans les chambres ouvertes par les acides a fait voler en éclats des centaines de mètres cubes de rocher dans une seule explosion. On a procédé par de véritables fourneaux de mines comme quand il s’agit de faire sauter des citadelles. À Carrare, à Seravezza, on n’a point à opérer sur une aussi grande échelle, mais souvent cinq ou six mines profondes y sont allumées du même coup. Le bruit épouvantable de l’explosion est répété par tous les échos, et court de vallons en vallons comme les grondemens du tonnerre. Le bloc soulevé en l’air retombe lourdement et roule sur les flancs abrupts de la carrière. On charge jusqu’à plusieurs kilogrammes de poudre à la fois dans le même trou, et l’on y met le feu au moyen d’une mèche de sûreté. Ces mines à l’acide sont appelées par les ouvriers mines à la française, parce que l’usage en est passé de France en Italie.

Le point supérieur de l’exploitation dans la vallée de Ravaccione est à 650 mètres au-dessus du niveau de la mer. Les chars à bœufs arrivent jusqu’au pied des dernières carrières par une bonne route, et le long du chemin on les rencontre qui se suivent à la file, se croisent, les uns montant à vide, les autres descendant les blocs. Pour arriver aux points de chargement, on a ménagé sur les diverses carrières des plans inclinés pavés en marbre, et sur lesquels les masses sont descendues. On en modère la course au moyen de câbles, et elles glissent sur des rouleaux savonnés. Ceux-ci fument ou s’enflamment sous le frottement du marbre, comme les supports sur lesquels se meut le navire qu’on lance à la mer. La descente naturelle des blocs n’a lieu que de la carrière aux plans inclinés. Le trajet est court, la différence de niveau assez faible. Le spectacle est donc loin de présenter ici la même grandeur qu’à Seravezza, sur les flancs de l’Altissimo ; mais ce qu’on perd en pittoresque, on le regagne en économie, et les carriers ne s’en plaignent pas.

Le lieu où se trouvent les dernières exploitations de Ravaccione