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Un billet, daté du 13 juin 1771, est certainement la réponse de Mme de La Marck. La correspondance continue ensuite pendant deux années, à intervalles à peu près égaux, et donne lieu à de curieuses peintures de la cour pendant les dernières années du règne de Louis XV. Ce sont de véritables bulletins de nouvelles comme ceux que Gustave III recevra plus tard de Mme de Staël, son illustre ambassadrice.


« Il faut gronder M. le comte de Gothland, écrit Mme de La Marck, de la manière très gaie à la vérité, mais assez libre en même temps, avec laquelle il me parle de Mme Du Barry en toutes lettres, ainsi que du chancelier. Il ignore apparemment qu’on ouvre toutes celles de la poste, et que la sienne l’a été : je l’ai vu positivement au cachet, dont les armes étaient recouvertes par un peu de cire noire. Le roi saura dimanche prochain ce que M. le comte de Gothland m’a fait la grâce de me mander, et si l’on me met à la Bastille, il faudra donc que M. le comte revienne ici pour m’en faire sortir ? Plaisanterie à part, je prie votre majesté de ne point parler de tous ces gens par la poste… — Je fus hier à Marly, où le roi est depuis huit jours. On jouait au lansquenet ; une seule réjouissance fut de 1,200 louis, et tout le monde meurt de faim ! Cet esprit de vertige me rendit triste et rêveuse le reste de la soirée. Mme Du Barry jouait à la table du roi, et entourée de la famille royale. Personne, ni à la table ni dans le salon, ne lui parla de la soirée, si ce n’est le roi et son neveu, le petit Du Barry. Ce courage général devrait ouvrir les yeux du roi.

« le roi ne peut se suffire à lui-même, et ses enfans ne lui sont d’aucune ressource. Ses filles ont de petites têtes !… impossible d’y rien mettre de raisonnable. M. le dauphin montre quelques vertus sauvages, mais sans esprit, sans connaissances, sans lecture, n’en ayant pas même le goût, et dur dans ses principes comme brut dans ses actions. M. le comte de Provence est doux, a de l’esprit, assez d’acquit, mais il est glorieux et… je ne dirai pas le reste de peur de déplaire à votre majesté. Sa femme est laide et maussade ; on dit qu’ils ne s’aiment pas. M. le comte d’Artois a de l’esprit, le désir de plaire et de rendre heureux ce qui l’environne. Tous ceux qui le voient l’aiment ; il grandit et est moins épais ; celui-là fait toute notre espérance, car M. le dauphin et M. le comte de Provence vraisemblablement n’auront point d’enfant… Elle est jolie, cette dauphine, elle a de l’esprit, et une grâce et un agrément dans toute sa personne qui n’appartiennent qu’à elle ; mais sa grande jeunesse et un peu de frivolité, apanage de son âge, la rendent inutile au roi. D’ailleurs il en a été mécontent au sujet de Mme Du Barry. Si celle-ci tombe, elle entraînera plus d’un ministre à sa suite ; je supplie votre majesté de n’en point douter. Le reste de la cour est divisé d’esprit et de principes, et on se déchire à plaisir. Les jésuites entrent pour beaucoup dans cette guerre intestine : les uns veulent les faire revenir, les autres s’y opposent, et on se permet tout pour la plus grande gloire de Dieu. Pour moi, pauvre ermite, je suis dans mes bois, n’entendant que de loin le bruit des orages.

« A Paris, toujours même misère et mêmes cabales. Nos jeunes femmes