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crèvent d’esprit et ne connaissent que lui ; pour la raison, on n’en parle guère. Elles sont toutes initiées dans les secrets de l’état, elles se mêlent de tout, font l’amour par passe-temps, et donnent tout leur temps à la politique ou à l’intrigue de la cour. Quelques bureaux d’esprit où on se moque de Dieu et de la religion, et où l’on regarde comme des imbéciles ceux qui y croient voilà, sire, en raccourci, un tableau de notre situation. Plus d’émulation, plus de principes ; jusqu’aux spectacles, tout va de travers. Il nous reste un ou deux sculpteurs et trois ou quatre peintres ; la bijouterie va encore son train, mais bientôt elle finira, car on n’achète plus que des brillans ; il est vrai qu’on ne les paie pas. En un mot, nous sommes au-dessous de tout : heureux si on ne nous attaque pas, car je ne sais ce que nous deviendrions ! »


Mme de La Marck, âgée de plus de cinquante ans et un peu trop grondeuse peut-être, n’épargne personne ; c’est tout au plus si elle accorde à Marie-Antoinette un hommage qui, lui échappant comme malgré elle, en a, il est vrai, d’autant plus de prix. Envers Gustave III seulement, elle s’exprime avec une chaleureuse sympathie. L’expression de ses sentimens n’est assurément pas toujours conçue dans un style irréprochable ; mais pourtant son affection est si sincère et son émotion est si vraie que ce style lui-même, en plusieurs occasions, se transforme, comme dans ces lignes vraiment éloquentes :


« 2 avril 1773.— J’ai le cœur déchiré, sire, en pensant à l’orage qui vous menace. Je croyais que l’occupation de manger la Pologne et le barbare plaisir de la dévaster et de ruiner les grands seigneurs qui l’habitent devaient suffire à l’ambition des trois tyrans qui la dévorent. Hélas ! je me suis trompée ; leur rage ne peut être assouvie que lorsqu’ils auront fait éprouver à vos états la triste anarchie de ce royaume. Ma seule espérance est que votre majesté soutiendra ses fidèles sujets par son courage et par son génie, et qu’eux-mêmes, sous la protection de leur roi, ils défendront leur patrimoine et leurs foyers mieux que n’ont fait les Polonais. »


Le reste de la correspondance s’étendant jusqu’en 1780, on n’a fait ici qu’introduire Mme de La Marck. Ses tableaux de la cour de France et les témoignages de son amitié persistante avec Gustave III reviendront dans la série de ces études à leurs dates. On la verra intervenir par ses conseils jusque dans les affaires les plus intimes du roi de Suède ; et finalement souffrir avec peine que Gustave lui donne une sorte de rivale en accueillant aussi les lettres et les conseils de Mme de Boufflers.

C’était la comtesse de Boufflers, bien plutôt que la comtesse de La Marck, qui pouvait être taxée de bel esprit. Sa correspondance avec Gustave III, dont une partie considérable se trouve dans la collection d’Upsal, ajoute à ce qu’on sait d’elle par Mme Du Deffand