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des traits essentiels qui rendent le reflet de sa vie agitée, et nous expliquent certains témoignages de ses contemporains. On sait sa biographie : M. Sainte-Beuve l’a retracée avec ce goût d’exactitude rigoureuse qui est la première et la plus rare peut-être des convenances littéraires. Elle paraît d’abord dans une situation brillante, mais équivoque, chez le prince de Conti, au milieu de ces fêtes variées et magnifiques dont les tableaux d’Olivier, conservés au musée de Versailles, nous gardent l’agréable souvenir. Elle y est la divine comtesse, l’idole du Temple, et cette domination lui suscite des rivalités jalouses, contre lesquelles ses alliés sont Jean-Jacques et deux étrangers, Hume et Grimm, car avec son esprit vif et curieux elle ne s’enferme pas dans les étroites limites de la société parisienne. Elle a été la première à faire le voyage de Londres après la paix de 1763, et on la citait comme s’étant mise à la tête de notre passagère anglomanie. Agée de quarante-sept ans lors du voyage de Gustave III à Paris, elle régnait au premier rang de l’opposition philosophique, avec la Grande-Bretagne pour alliée et le Temple pour refuge : c’était tout un monde dont le jeune roi de Suède, en quête de partisans, ne pouvait négliger l’accès.

Après la mort du prince de Conti, en 1776, Mme de Boufflers se retire dans sa maison d’Auteuil, où elle fait encore figure au milieu des habitués de la cour et des gens de lettres, qui l’y viennent visiter. Sa correspondance avec Gustave III reste longtemps active ; elle devient sa messagère et comme sa chargée d’affaires principale auprès de la société parisienne, mais en concurrence avec Mme de La Mark. Ici même, et pour la première fois[1], on l’a montrée s’efforçant, dans un âge assez avancé, de bien placer les Suédois qui venaient chercher fortune en France, et de marier les gens. Elle prend volontiers à cette époque de sa vie des allures de duègne qui la font paraître sous un autre aspect que dans le livre de Mme Du Deffand. C’est elle qui travaille avec tant de zèle au mariage de M. de Staël et qui désespère, écrit-elle alors, de faire jamais l’éducation de la future ambassadrice de Suède. Une fois la révolution commencée, elle voit se disperser tout ce qui l’avait admirée jusqu’alors. Émigrée en juillet 1780, elle refuse un asile à la cour de Gustave III, mais reçoit de lui une pension. Assez imprudente pour rentrer en France, ou contrainte peut-être par le danger d’une confiscation, elle est incarcérée avec sa belle-fille, la vertueuse, et charmante Amélie de Boufflers, qui partageait depuis longtemps ses destinées ; on leur rend la liberté à toutes deux après une détention de huit mois et demi, le 5 octobre 1794, et puis la comtesse de Boufflers, la brillante

  1. Voyez la Revue du 1er novembre 1856, Mme de Staël ambassadrice.