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contenant les livres saints proprement dits, miraculeusement inspirés, et appelés en cette qualité à décider souverainement les questions de dogme et de morale. Il est vrai qu’ici déjà une différence notable se révèle entre les deux grandes fractions de la chrétienté occidentale. Dans l’opinion des protestans, cette autorité des livres saints est unique, sans rivale, ne relevant que d’elle-même, et c’est à chacun de les interpréter du mieux qu’il peut à ses risques et périls. Selon la doctrine catholique au contraire, la tradition permanente de l’église, dont le clergé, son chef surtout, est l’organe, tradition écrite et non écrite, jouit d’une autorité semblable tout au moins, et même on pourrait dire que cette tradition, qui a déterminé le canon et qui doit régler ensuite l’interprétation des livres dont il se compose, est supérieure à l’Écriture en tant que la fixation et l’usage de celle-ci en dépendent. Toutefois non-seulement le concile de Trente voulut qu’une « même révérence » fût accordée à l’Écriture et à la tradition de l’église, mais encore, et par une conséquence inévitable de la controverse qui surgit entre les deux branches de la chrétienté, le texte des livres canoniques fut le champ clos principal où se poursuivit la lutte engagée par Luther. La souveraineté de ce texte elle-même devint ainsi un fait, sinon toujours reconnu en théorie, du moins indéniable en pratique.

Peut-être le point le plus faible de la position prise par les protestans du XVIe siècle fut-il d’avoir éliminé d’une manière absolue l’idée de tradition des notions constitutives d’un canon biblique : du moins on ne voit pas très bien ce qu’ils pouvaient répondre de solide à leurs adversaires quand ceux-ci leur demandaient d’où ils savaient en définitive qu’il y avait une Bible se composant précisément de ces livres-là, à l’exclusion de tous autres ; mais on se tromperait fort si l’on s’imaginait que le sort des grands mouvemens religieux est lié à un argument théologique plus ou moins réussi. Là où la multitude se prononce, on peut être certain d’avance que le sentiment l’emporte sur le raisonnement, et même, en matière religieuse, il n’est pas besoin de faire partie de la multitude pour diriger sa logique au gré de ses préférences. En dehors des appuis que lui donna en certains lieux l’autorité civile, ce qui fit le succès de la réforme, ce fut un double besoin d’émancipation et de piété spiritualiste qui trouva son aliment favori et sa justification dans la lecture de la Bible ; en dehors des terribles persécutions qui l’arrêtèrent ou l’étouffèrent en quelques pays, ce qui la fit avorter, ce fut cette peur qui naît du danger de tout perdre, si l’on abandonne une seule parcelle de la tradition contestée. Dans les classes éclairées de notre patrie surtout, le que sais-je ? de Montaigne conserva plus d’adhérens à la vieille église que les gros livres