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des docteurs en Sorbonne. Cela est si certain qu’à partir de la seconde moitié du XVIe siècle, quand la première fraîcheur, la hardiesse primitive du mouvement réformateur ont pris fin, l’on voit la chrétienté protestante, atteinte elle-même de l’effroi du libre examen, chercher par-dessus tout la régularité, l’uniformité, la consolidation à tout prix du dogme établi, et aboutir au XVIIe siècle, ce siècle des réactions despotiques de tout genre, à une scolastique d’une aridité, d’une étroitesse telles qu’elle n’avait à peu près rien à envier à sa vieille sœur du moyen âge. Le dogme biblique entre autres fut poussé jusqu’à sa dernière rigueur. Ne fallait-il pas donner à la croyance une base absolument infaillible, indiscutable, couvrant de son autorité divine absolue les doutes de la raison et les répugnances du cœur ? Tout dans le recueil sacré fut déclaré surnaturel ; la Bible devint une sorte d’incarnation de la Divinité, et l’on put, non sans raison, accuser le protestantisme de n’avoir rejeté l’idolâtrie, qu’il reprochait si amèrement à l’église romaine, que pour tomber dans une bibliolâtrie qui ne valait pas mieux.

Cependant les droits du libre examen ne furent jamais entièrement perdus. Il y eut dans certaines universités, au sein de quelques sectes plus libérales que les autres, des travaux, des recherches qui finirent par pénétrer dans la théologie générale. Peu à peu la rigidité de la doctrine se relâcha, et, malgré les réactions périodiques d’un zèle plus pieux qu’éclairé qui continuait et continue encore parfois à regarder la Bible comme les anciens Hébreux regardaient l’arche sainte à laquelle il était criminel de toucher, le moment vint où, sans aucune arrière-pensée d’irréligion on dut se demander en face du Nouveau Testament : D’où vient-il ? Comment s’est-il formé ? Qui l’a composé des livres qu’il renferme à l’exclusion de tous les autres ? En un mot quelles sont les origines du canon ?

À peine la question eut-elle été clairement posée qu’on se trouva en présence d’un fait bien surprenant, c’est que le canon, tel qu’il existait depuis le XVIe siècle dans toutes les églises chrétiennes, était chose relativement récente. On se serait attendu à voir la liste des livres inspirés, révélateurs, règle éternelle et unique de la foi et des mœurs, remonter, invariable et identique, jusqu’à la limite des temps apostoliques, et même c’était dans la vieille théologie une hypothèse passée à l’état de lieu-commun que l’apôtre Jean, dernier survivant des disciples immédiats de Jésus, avait clos ou, comme on disait alors, bouclé le canon des écritures inspirées. Cette hypothèse, comme on va le voir, ne reposait sur rien, et provenait de l’illusion, universelle jusqu’à nos jours, qui consiste à reporter sur l’antiquité les préoccupations et les procédés du temps où l’on vit soi-même. Tout catholique, tout protestant qui étudie l’histoire