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présentés comme d’autant plus édifians que le nom de Dieu n’y est pas énoncé. La Bible fut plus que jamais, non pas une collection de livres originairement indépendans les uns des autres et réunis par des hommes en vue de circonstances et de besoins déterminés, mais un livre en quelque sorte tombé du ciel, en tout cas une série de messages adressés au genre humain, écrits par divers secrétaires sous la dictée immédiate de Dieu. Ce qui est fort curieux, c’est qu’on ne craignait pas, dans les controverses avec les théologiens catholiques, d’appliquer la critique la plus sévère aux apocryphes de l’Ancien Testament. On y trouvait des doctrines immorales, des miracles absurdes, comme si ce genre d’argumens ne pouvait pas être retourné contre les livres canoniques. Sans doute l’histoire de Judith n’a rien de fort édifiant ; mais celle des derniers jours de David ? Le poisson de Tobie dépasse notablement les bornes du vraisemblable ; mais celui de Jonas ? On peut voir ici une preuve nouvelle d’un fait bien fréquent : la controverse avec les catholiques pousse les protestans d’autrefois dans les voies de la critique moderne, et quand celle-ci, se dégageant enfin de cette passion voltairienne qui ne songe qu’à détruire le passé et de cette étroitesse qui veut à tout prix le conserver, traduit à sa barre le canon des livres saints comme tous les autres élémens de la tradition religieuse, elle ne fait que marcher dans la voie ouverte par les vieux professeurs de dogme à ce chapitre de leurs loci communes qu’ils intitulaient de Libris V. T. apocryphis.

Toutefois, si en montrant que, comme tout au monde, le canon biblique n’a rien d’absolu, la critique a porté un coup mortel à l’ancienne adoration de la Bible, non-seulement elle n’a pu, mais encore elle ne saurait vouloir modifier le canon du Nouveau Testament en vigueur dans les églises chrétiennes.


IV

C’est que le point de vue sous lequel la critique, par cela seul qu’elle est la critique, envisage la Bible n’est pas le même que celui de la foi a priori, ni que celui de l’incrédulité de parti-pris. Celle-ci et celle-là en font une forteresse que, selon l’une, il faut défendre à tout prix, qu’il faut emporter coûte que coûte, selon l’autre. En France, où depuis quelques années toutes les nuances de la pensée religieuse se prononcent avec un redoublement d’énergie, on a vu renaître la vieille manière d’attaquer la Bible en relevant le caractère immoral ou contradictoire de plusieurs enseignemens, ou l’invraisemblance historique, l’inadmissibilité même de certains récits. Il est de mode, en revanche, de signaler à l’indignation