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pleins de fautes historiques ; nous ne savons rien ou presque rien de leurs auteurs, et pourtant c’est à eux que nous devons de connaître sous ses traits authentiques la plus admirable figure qui ait jamais souri à notre pauvre monde.

Au surplus, le point de vue historique pur auquel doit se placer et se place toujours de plus en plus la critique religieuse l’amène à revendiquer pour la Bible la place d’honneur que la tradition lui attribuait avant elle. Tout original qu’il soit, le christianisme est soumis aux lois dérivant de la nature humaine, et qui régissent l’histoire des religions. Or il n’est pas la seule, religion qui ait un livre sacré pour base et soutien permanent. Il faut plutôt dire que toutes les religions d’une valeur sérieuse ont eu, ont encore leur livre. Les musulmans comprennent bien cela quand ils fondent la supériorité des chrétiens et des Juifs sur les païens en disant qu’ils sont aussi des « peuples du livre. » Le bouddhisme, le parsisme et même le brahmanisme peuvent prétendre au même honneur. Il s’agit ici des grandes religions de l’histoire, de celles qui proviennent d’efforts individuels et collectifs pour s’élever au-dessus de l’adoration naïve et absurde des choses de la nature. On peut donc formuler la loi qui résulte de cette comparaison des religions en disant que toute religion supérieure à la tradition irréfléchie, aspirant à éclairer et à réformer les hommes, fixe dans des documens écrits le souvenir de ses origines et son esprit essentiel[1].

Il y aurait à faire une synthèse fort légitime des trois principes émis respectivement par l’église catholique, l’église luthérienne et l’église réformée au sujet du recueil des livres saints. L’église catholique a parfaitement raison de dire que c’est la tradition qui en a déterminé les contours et qui l’a fixé : l’histoire du canon le démontre surabondamment. Ce n’est pas à des décrets officiels émanés d’une autorité apostolique, ecclésiastique ou scientifique, que la formation en est due. Chez les Juifs et chez les chrétiens, il s’est en quelque sorte déposé lentement au fur et à mesure des besoins religieux et des sympathies pour les livres dont il se compose. Lorsque les docteurs et les conciles s’occupèrent d’en fixer les limites, ils ne firent

  1. Le mormonisme, dira-t-on, a aussi un livre. — Sans doute, et en lui aussi se vérifie la loi : tant vaut la religion, tant vaut son livre. Du reste, dans le jugement à porter sur le mormonisme, il ne faut jamais oublier qu’il manque entièrement de cette spontanéité qui caractérise les grandes origines religieuses. Tout chez lui, son livre comme le reste, est imitatif, artificiel. De là son manque absolu de poésie. Sa force momentanée provient, non de besoins religieux auxquels il peut seul donner satisfaction, mais d’un état social maladif auquel il propose un semblant de remède. Rien ne serait plus illusoire que d’assimiler le mormonisme aux religions vraiment organiques, vraiment naturelles, pour en déduire des principes ou des règles applicables à la grande histoire religieuse.