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qu’un exemple, que le Verbe devenu chair du quatrième Évangile suppose la même théologie que l’être non préexistant selon le premier et le troisième, mais miraculeusement formé dans le sein de sa mère, et ce Verbe devenu chair s’accorde-t-il d’un autre côté avec le descendant de David, fils de Joseph, des généalogies, avec l’homme prophète accrédité de Dieu du livre des Actes, ou avec le premier-né des créatures dont il est parlé dans les épîtres de Paul ? Pour le chrétien étranger à la critique, la Bible est facilement ce que le blanc est pour celui qui ignore la physique, quelque chose d’un, de simple, d’irréductible. L’unité artificielle du canon lui fait illusion ; mais la critique est un prisme qui décompose en élémens distincts et divergens l’objet dont la nature complexe échappe au regard superficiel.

Et pourtant la Bible n’en reste pas moins le livre des livres, les incomparables archives de la religion de l’humanité. Ce n’est pas sans cause légitime que les meilleurs, les plus purs des hommes y ont cherché des leçons, des espérances, des consolations, qu’aucune autre littérature n’aurait pu leur fournir. Faudrait-il y renoncer parce qu’on s’est aperçu que le précieux métal s’y trouve mêlé à des matières inférieures ou inutiles ? La compensation du trouble que les découvertes critiques apportent dans la foi des simples ne consisterait-elle pas en ceci, que nous savons mieux désormais ce qui est vraiment sain, nutritif, fortifiant dans la masse des choses religieuses que le passé nous a léguées ? Assurément l’histoire de l’Éden est enfantine, peu cohérente, et inadmissible comme histoire ; mais quel délicieux souvenir d’un premier âge tout plein d’ignorance et d’innocence ! Quelle révélation de nous-mêmes à nous-mêmes ! Quel tableau fidèle de nos vanités et de nos déceptions ! Moïse et les prophètes, les hommes de l’Ancien Testament en général ont des côtés bien peu conformes à l’idéal religieux que l’Évangile nous a fait concevoir ; mais qu’il faut être aveugle pour ne pas voir leur grandeur et ne pas discerner l’esprit de la religion éternelle, qui va s’affirmant, se purifiant, se déployant toujours plus à travers leur dramatique histoire ! Et parce qu’Elie le prophète est arrivé au ciel sur un char de feu que traînaient des chevaux de flamme, faudra-t-il que nous nous privions de la belle vision où il comprit que Dieu n’était ni dans le vent impétueux qui fendait les montagnes, ni dans le tourbillon qui les obscurcissait, ni dans le feu qui les embrasait, mais dans le doux murmure qui venait ensuite et remplissait le désert d’Horeb de son harmonie ? Ne tombons jamais dans la faute que l’on reproche si souvent aux partisans étroits du passé, ne confondons pas la lettre et l’esprit des choses. Voyez les trois premiers Évangiles : ce sont trois livres mal écrits, gauchement rédigés,