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chose de noble et de chevaleresque qui commande le respect. Le gouvernement des hommes ne connaît pas d’entreprise plus scabreuse et plus hardie que celle de tenir tête à la révolution et de lui imposer un frein sans suspendre la liberté ; mais aussi n’en est-il pas de plus belle.

Le jeune roi des Hellènes ne pouvait se débarrasser que par un coup d’état de l’assemblée nationale, puisque d’un côté le mandât reçu par celle-ci des électeurs n’était pas encore accompli et ne devait se terminer qu’après l’adoption d’une nouvelle charte, tandis que de l’autre c’est un des principes fondamentaux du gouvernement libre que le droit de dissolution des chambres, partie essentielle de la prérogative royale, ne peut pas s’exercer sur une assemblée constituante à laquelle est déléguée la souveraineté nationale. Pour justifier le coup d’état, il eût fallu dénier à la constituante la qualité de représentation légitime et fidèle du pays, et c’était cette assemblée dont le vote avait élu le souverain. En la dissolvant, George Ier n’eût-il pas invalidé lui-même l’origine de son pouvoir ? De plus, après ce premier pas, la royauté n’eût point été maîtresse de s’arrêter dans la voie qu’elle se serait ouverte. L’état d’excitation des esprits n’eût pas permis d’appeler la nation dans ses comices et de faire des élections nouvelles, dont le résultat inévitable eût été d’armer les partis les uns contre les autres et de donner naissance à des troubles où l’esquif mal assuré de la nouvelle monarchie eût couru grand risque de sombrer. Force eût donc été de faire suivre le coup d’état d’une dictature d’au moins une année. Or l’une des conditions formelles de l’élection royale avait été que le souverain gouvernerait suivant ces principes constitutionnels, dont la violation avait amené la chute de son prédécesseur ; le lendemain de son entrée dans sa capitale, George Ier en avait prêté le serment sur le livre des Évangiles ; il ne pouvait venir à sa pensée ni à celle de son conseiller d’inaugurer son règne par un parjure. Quand il l’aurait voulu, pouvait-il sagement, même en ayant au début l’appui du peuple, s’emparer de la dictature sans avoir une armée dévouée pour le soutenir contre une réaction prochaine ?

Une autre nécessité, non moins inévitable et plus fâcheuse encore, pesait en même temps sur la royauté naissante. Quel homme le jeune souverain chargerait-il de former un ministère ? Appelé au trône à la suite de la révolution du 22 octobre, George Ier ne pouvait pas faire du premier exercice de sa puissance royale un désaveu de cette révolution et des hommes qui l’avaient dirigée ; les chefs mêmes du parti contraire reconnaissaient la nécessité pour lui de confier la formation du cabinet à l’ancien président du gouvernement provisoire, M. Boulgaris, d’autant plus que la Grande-Bretagne,