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trop exclusive de l’histoire de la philosophie n’a pas laissé que de produire quelques regrettables résultats. Il est certain que la nouvelle école à son origine avait beaucoup promis : elle semblait aspirer à une régénération complète de la philosophie, à une vaste synthèse où tous les besoins de l’humanité trouveraient leur satisfaction ; elle n’avait pas toujours repoussé certaines hypothèses engageantes et hardies, agréables à la liberté de l’esprit. Lorsqu’on la vit peu à peu se refroidir, s’assagir, invoquer de plus en plus le sens commun, partout fixer des limites plutôt qu’ouvrir des issues, et enfin, reléguant au second plan la philosophie dogmatique, se livrer aux recherches de la critique et de l’érudition, les impatiens passèrent peu à peu de l’admiration à l’estime, de l’estime à la révolte. Ils voulaient savoir le fond des choses, étudier les questions en elles-mêmes, et on ne leur parlait plus que de Platon et d’Aristote, de Leibnitz et de Spinoza, de Reid et de Kant. Ils ne voyaient pas que c’était là aussi une manière de toucher le fond des choses, une préparation prudente et salutaire à des entreprises plus difficiles ; cette méthode détournée ne leur semblait donner qu’une satisfaction incomplète à la curiosité philosophique. En outre de nouvelles générations survenaient, moins disposées que les précédentes à l’enthousiasme et à l’admiration, n’ayant vu l’école spiritualiste qu’au gouvernement et non dans l’opposition. Un esprit nouveau s’éveillait, l’esprit des sciences positives, qui se répandait avec une puissance incalculable. En même temps un souffle venait de l’Allemagne, qui, d’accord avec le génie du moment, entraînait les âmes avides vers les tentations décevantes du panthéisme. En un mot, il est inutile de le cacher, l’école spiritualiste a subi depuis dix ou quinze ans un échec des plus graves. Elle n’est plus la maîtresse de l’opinion : de toutes parts des objections, des critiques, des imputations justes ou injustes, mais très accréditées, s’élèvent contre elle ; elle subit enfin une crise redoutable. Après tout, s’il ne s’agissait que d’une école, on pourrait s’en consoler : nulle école n’est éternelle ni absolument nécessaire ; mais il y a ici plus qu’une école, il y a une idée, l’idée spiritualiste. C’est cette idée dont les destinées sont aujourd’hui menacées par le flot le plus formidable qu’elle ait essuyé depuis l’Encyclopédie, et qui emporterait avec elle, selon nous, si elle devait succomber, la liberté et la dignité de l’esprit humain.

Dans une crise aussi sérieuse, le spiritualisme ne s’est pas abandonné lui-même, et il est entré dans une phase nouvelle, que j’appellerai la phase de la polémique. Sans doute, la polémique n’est pas absente des deux phases précédentes, surtout de la première ; mais elle n’en est pas le caractère dominant, et elle y est d’ailleurs