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excellent, il y a cependant, à mon gré, quelque chose de trop : ce sont plusieurs pages, bien pensées d’ailleurs et écrites avec modération, sur le dernier livre de M. Renan. Ce n’est pas que j’interdise à la philosophie de dire son opinion sur la question que M. Renan a si vaillamment portée au tribunal de l’opinion publique ; mais il ne faut pas mêler les problèmes d’ordre différent. L’existence de Dieu est une question, la divinité de Jésus en est une autre. Celle-ci appartient à la science religieuse, celle-là à la philosophie. La philosophie et la théologie ne doivent pas cesser d’être distinctes, même n’admît-on pas de théologie révélée, à plus forte raison si l’on en admet une. La question que la philosophie pose et veut résoudre est celle-ci : peut-on, par la science et la raison, découvrir l’existence et la nature de Dieu ? Ne la compliquons pas, elle est déjà assez difficile. La philosophie spiritualiste, dans cette question, travaille pour son propre compte, et non dans un autre intérêt. Il ne faudrait pas laisser croire qu’elle ne fût qu’une avant-garde destinée à recevoir les premiers coups et engagée au service d’une autre puissance. Au reste, dans les débats compliqués et ardens qui s’agitent autour de nous, chacun prend la situation que lui indique sa conscience. Pour nous, nous séparons la philosophie de toute cause théologique, quelle qu’elle soit : nous tenions à faire cette remarque ; autrement l’on pourrait se tromper gravement sur le sens des critiques que nous croyons devoir adresser aux écoles nouvelles.

Ici, et dans l’ordre de la pure philosophie, nous sommes avec M. Caro dans la lutte qu’il engage contre ces écoles. Peut-être, en nous plaçant au point de vue de la critique, qui n’est pas toujours celui de la polémique, accorderions-nous davantage à la philosophie nouvelle ; peut-être serions-nous disposé à reconnaître qu’elle n’a pas eu tort sur tous les points, et qu’elle répond en partie à quelques besoins du temps, qui demandent satisfaction ; mais M. Caro est lui-même un esprit trop libéral et trop éclairé pour tout refuser à ses adversaires. Il a un sentiment très vif et très juste de la situation actuelle des questions, et l’on sent qu’il n’est pas disposé à se laisser renfermer à tout jamais dans un cercle infranchissable d’opinions convenues. Nul d’ailleurs parmi les spiritualistes ne comprend mieux les nouvelles idées, car rien ne familiarise avec la tactique et le jeu de ses adversaires comme d’être toujours en leur présence et de lier souvent partie avec eux. Ainsi nous avons bien tous un vague sentiment qu’il s’élève aujourd’hui une philosophie nouvelle, assez semblable à celle du XVIIIe siècle ; mais la nuance précise et fine qui caractérise cette philosophie et les nuances qui en distinguent les différentes branches échappent à beaucoup d’esprits