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particulier, l’opposition du relatif et de l’absolu, de l’historique et du rationnel. M. Renan ne dissimule point ses sympathies pour l’école historique, et en toutes choses il préfère le point de vue historique au point de vue rationnel : c’est précisément l’opposé de l’idéalisme hégélien.

À la vérité, ce qui pourrait favoriser la confusion que je combats, c’est la loi de développement et de progrès que Hegel suppose être la loi éternelle des choses ; mais cette loi ne change pas la nature de l’objet. Supposez que les vérités géométriques, au lieu d’être conçues comme éternellement coexistantes, se réalisent successivement dans le temps, en sortant les unes des autres ; elles ne cesseraient pas pour cela d’être des vérités absolues. La génération logique des idées (qu’elle se fasse ou non dans le temps) est essentiellement différente de la transformation mobile des phénomènes. Il en est de même de la loi des antinomies ou des contradictoires. Dans l’école du relatif, les antinomies ne sont que les points de vue qu’oppose un même objet à un sujet diversement disposé ou qu’un objet changeant et aperçu de différens côtés présente à un même sujet. L’antinomie hégélienne au contraire n’est nullement l’apparence des choses, elle en est l’essence même ; l’antinomie ou la contradiction est le chemin nécessaire par lequel elles parviennent à l’harmonie et à l’unité. Par exemple, il est de l’essence de l’état de passer par l’anarchie et le despotisme (deux opposés identiques) pour arriver à la liberté. Ainsi la métaphysique de Hegel ne cesse jamais un instant d’être la métaphysique de l’absolu. Quelle fiction de lui imposer la doctrine contraire, à savoir que l’homme ne connaît rien d’absolu, qu’il est un relatif dans le relatif, un phénomène toujours en mouvement dans le monde éternellement changeant des phénomènes !

Je viens de caractériser l’esprit général des doctrines de M. Renan. Quant à son système philosophique (si l’on peut appeler système une esquisse où l’imagination a plus de part qu’une sévère raison), il l’a résumé d’une manière brillante et originale dans sa lettre à M. Berthelot[1]. Dans cette lettre, M. Renan se représente la formation de l’univers à peu près comme Laplace et Herschel se représentaient la formation du monde solaire. Une première nébuleuse, par une condensation progressive, passe de l’état mécanique à l’état chimique, de l’état chimique à l’état planétaire ; elle se brise en centres divergens dont chacun devient une planète ; l’une de ces planètes est la terre. La terre passe à son tour par des degrés divers

  1. Les Sciences de la nature et les Sciences historiques. Voyez la Revue du 15 octobre 1863.