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qui tend à se faire un secret ressort poussant le possible à exister. » Ainsi l’âme de l’univers est une sorte d’instinct, c’est ce je ne sais quoi de divin qui se manifeste « dans l’instinct des animaux, dans les tendances innées de l’homme, dans les dictées de la conscience, dans cette harmonie suprême qui fait que le monde est plein de nombre, de poids et de mesure. » La nature est une sorte d’artiste qui agit par inspiration et sans aucune science. Le vieux philosophe grec, Heraclite, l’avait déjà dit en appelant le principe de l’univers « un feu artiste, » belle formule qui résume non-seulement la doctrine de M. Renan, mais encore son talent avec ses trois caractères les plus saillans, l’art, la flamme et la mobilité.


III

De même que la philosophie de M. Taine peut se résumer dans l’idée d’une chaîne inflexible qui, par des liens de fer, attache et resserre tous les phénomènes de l’univers, la philosophie de M. Renan se réduit à l’idée de la mobilité universelle et du perpétuel devenir.

Mécanisme et fatalité, voilà le système de M. Taine ; transformation et mouvement, voilà celui de M. Renan. Ces deux idées vont se perdre l’une et l’autre dans l’idée commune d’un absolu phénoménisme. Pour tous deux, la nature n’est qu’un grand phénomène qui se transforme sans cesse ; l’humanité, un des momens, un des accidens de cette transformation ; l’individu, un des accidens de cet accident. Quant à l’âme, il est trop évident qu’elle s’évanouit et tombe en poussière ; elle n’est plus, comme ils le disent, que la résultante, le produit complexe d’un nombre incalculable de phénomènes antérieurs. Pour être juste, il faut reconnaître que de temps à autre ils semblent laisser errer quelque autre chose au-delà, au-dessus, au-dessous ou au dedans de cette série flottante : c’est ce que M. Taine appelle « la loi, » et M. Renan « l’infini » ou « l’idéal ; » mais ces agens transcendans jouent un rôle si vague et si obscur dans leurs doctrines qu’il est difficile de bien saisir la part qui leur est faite, et qu’il est permis d’y voir des concessions à l’opinion et à l’habitude plutôt que de vrais principes sciemment et scientifiquement reconnus. Avouons cependant qu’il y a là pour eux une issue pour s’élever plus tard, s’ils le veulent, à une philosophie plus haute que celle qu’ils nous ont proposée jusqu’ici : je le désire sans trop l’espérer, car plus ils vont, plus ils me paraissent pencher du côté fatal que j’ai signalé.

Entre les innombrables questions que les idées que je viens d’exposer pourraient provoquer, je me contenterai d’en choisir une.