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cette démonstration, et nous renoncerons à l’hypothèse d’une force vitale[1] ; mais pour la force pensante quelle est, je vous prie, l’expérience démonstrative qui pourrait nous réduire au silence ? Je n’en vois qu’une seule, ce serait la production artificielle d’un homme sentant et pensant ; l’homunculus de Faust, telle serait l’ultima ratio de cette philosophie unitaire que l’on nous oppose. Or est-il un esprit philosophique qui, par précaution scientifique, s’imposera de renoncer à toute affirmation jusqu’à ce qu’une telle expérience ait été faite ? J’ajoute que si le spiritualisme a raison, il lui est précisément impossible de se démontrer lui-même par l’expérimentation. Il faut donc qu’il se contente des indications qui sont à sa portée. Les seules sont les données de la conscience. Or nous ne pouvons que répéter ce que nous avons dit plus haut, c’est que l’analyse de la conscience nous donne toujours une unité de sujet et ne se laissera jamais réduire à l’idée d’une combinaison quelconque.

Quant à la nature de la cause première, s’il y a une philosophie qui mérite l’accusation de réaliser des abstractions et d’invoquer des qualités occultes, c’est celle qui attribue à la nature un instinct, qui lui prête des facultés poétiques, qui demande comme un postulat nécessaire « la tendance au progrès, » c’est la philosophie de M. Renan, ou bien encore, c’est la philosophie qui se représente la cause première comme « un axiome, » comme « une formule créatrice, » qui, à l’origine des choses, place ce qu’elle appelle « les premiers abstraits, » et ramène ces premiers abstraits à trois : « la quantité abstraite, la quantité concrète, la quantité supprimée, » c’est-à-dire la philosophie de M. Taine. Ces deux philosophies prennent des abstractions pour des réalités, des causes nominales pour des causes réelles. Qu’est-ce, je vous prie, que l’instinct de la nature ? Nous expliquons-nous mieux l’ordre et l’harmonie de l’univers quand nous les avons rapportés à une tendance obscure, aveugle, inconsciente ? N’est-ce pas expliquer le fait par le fait ? N’est-ce pas tomber précisément sous l’objection que nous exposions tout à l’heure contre nous-mêmes, se figurer qu’on a expliqué un fait parce qu’on a donné un nom (l’instinct, la tendance, le stimulus) à la cause inconnue que l’on cherche ? Quant aux premiers abstraits, à la formule créatrice, à la quantité première (abstraite,

  1. Encore faut-il bien distinguer la génération spontanée de ce que l’on appelle aujourd’hui l’hétérogénie. Dans la véritable idée de la génération spontanée, la vie devrait naître d’une simple rencontre d’élémens minéraux ; mais si la vie ne naît que de la. mort, c’est-à-dire de tissus organiques ayant déjà vécu, ce qui est l’hétérogénie, un tel fait, fût-il démontré, prouverait contre l’individualité des espèces animales dans les bas degrés de l’échelle, mais non pas contre l’hypothèse d’une force vitale, car on n’aurait pas encore atteint le phénomène primitif de la vie. Or c’est seulement dans ce dernier sens que la génération spontanée a encore quelques partisans.