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Je me levai et criai : A moi, dragons ! Ils parurent sur-le-champ. Tout ce qu’il y avait d’ennemis sur le polygone et sur la courtine, nous ayant découverts, se mit à tirer sur nous ; j’y fis répondre par un très grand feu. Pendant ce temps-là, M. de Chevert montait avec les grenadiers. Les ennemis ne s’en aperçurent que lorsqu’il y eût une compagnie sur le rempart. Alors ils vinrent à la charge, tirèrent beaucoup et croisèrent leurs armes avec les grenadiers ; mais ceux-ci ne se défendirent qu’à grands coups de baïonnette et tinrent ferme. M. de Chevert fut bientôt suivi des trois autres compagnies de grenadiers et du comte de Broglie avec ses piquets ; mais comme on se pressait de monter sur les échelles et qu’elles ne pouvaient supporter le poids de tant d’hommes, il en rompit beaucoup, ce qui faillit tout déconcerter. J’envoyai au plus vite un officier pour y remédier, et je me pressai d’arriver au pont de la porte avec mes huit troupes de dragons… Dans le moment que j’arrivai, M. de Chevert, qui avait forcé le corps de garde par le dedans de la ville, m’abattit le pont-levis. Le pont-levis baissé, je me portai avec la cavalerie au pont qui sépare la ville en deux ; il était barricadé et défendu par quelques pièces de canon et de l’infanterie. L’officier qui commandait ce poste fit d’abord difficulté de se rendre ; mais ayant appris que les Saxons étaient entrés par la partie de la ville qu’on nomme le petit côté, et qu’il allait se trouver entre deux feux, il mit bas les armes. Toute la garnison, en ayant fait autant, fut enfermée dans les casernes. »


C’est avec cette précision militaire et cette simplicité d’accent que Maurice raconte la prise de Prague dans une lettre au chevalier de Folard. Les Saxons dont il est question ici avaient leur rôle indiqué dans la combinaison du chef. Maurice lui-même les avait décidés à seconder son effort malgré les intrigues des généraux bavarois, qui croyaient l’entreprise impossible et voulaient absolument l’empêcher, prédisant une catastrophe. À la tête des Saxons se trouvaient deux frères de Maurice, le comte Rutowski et un autre bâtard comme lui du roi de Pologne ; quand ils arrivèrent, il leur sauta au cou. « Frères, leur dit-il gaîment, je suis entré ici avant vous, et c’était bien mon droit ; je vous montrerai toujours que je suis votre aîné. »

Ce glorieux coup de main eut un grand retentissement par toute l’Europe. On admira surtout l’ordre merveilleux de l’entreprise et l’humanité du chef. Qu’on était loin de cette guerre de trente ans où s’était illustré le vieux Kœnigsmark ! Quels progrès depuis un siècle ! Quand les habitans de Prague se réveillèrent le matin du 26 novembre, ils apprirent qu’ils avaient changé de maître ; on attendait l’arrivée du grand-duc de Toscane, époux de Marie-Thérèse, ce fut le duc de Bavière qui entra, introduit par le comte de Saxe. Grave changement sans doute, mais ce fut le seul. Nul trouble, nulle violence ; Maurice avait ordonné aux officiers « de casser la tête à tout cavalier qui mettrait pied à terre pour piller et de faire sabrer