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tous les soldats d’infanterie qu’ils trouveraient épars. » L’électeur de Bavière put entrer royalement dans Prague le jour même où la ville avait été emportée d’assaut. Aucune scène de désolation, aucune plainte, aucun murmure ne troubla les fêtes du triomphe. Depuis le moment où le comte de Saxe, debout sur le seuil, remit les clés au nouveau souverain, jusqu’à l’heure où le clergé entonna le Te Deum dans la vieille cathédrale des rois tchèques, ce ne fut qu’une immense acclamation prolongée de rue en rue. Jamais sans doute on n’a vu de capitale enlevée si lestement et si doucement soumise. Dira-t-on encore que Maurice conduit nos soldats à la tartare ? Une telle victoire au contraire ne réalise-t-elle pas admirablement l’idéal français du XVIIIe siècle ? Comment ne pas se rappeler ici que Voltaire, depuis vingt ans déjà, prêchait sous toutes les formes l’esprit d’humanité ?

La campagne si bien commencée ne fut pas toujours heureuse. Le général bavarois, M. de Terring, se fit battre par les Autrichiens ; les troupes saxonnes furent mises en déroute[1] M. le maréchal de Broglie, qui était venu prendre le commandement et remplacer le maréchal de Belle-l’Isle pendant que celui-ci accompagnait l’électeur de Bavière, roi de Bohême, à l’élection impériale de Francfort, — le maréchal de Broglie était accusé par Maurice de commettre « sottises sur sottises. » Il est certain que les affaires tournaient mal et que de sinistres présages annonçaient les catastrophes prochaines. On peut dire toutefois, sans tomber dans la fadeur des panégyristes, que partout où se présentait le comte de Saxe, le drapeau des coalisés se relevait. C’est l’éloge et le remercîment que lui adressa Charles-Albert après son couronnement, au Rœmer de Francfort, sous le nom de l’empereur Charles VII. « Que ne pouvez-vous être partout, cher comte de Saxe ! » Ces paroles si flatteuses se rapportent à un fait d’armes où le vainqueur de Prague sauva les coalisés d’un péril imminent. Le comte de Ségur, malgré une brillante résistance, avait été obligé de rendre la ville de Linz à la suite des échecs de l’armée bavaroise. Il fallait prendre une revanche, il fallait surtout empêcher que nos communications avec Prague ne fussent coupées quelque jour par les progrès des Autrichiens. La ville d’Égra, dont l’ennemi renforçait la garnison, inquiétait à bon droit le maréchal de Broglie, qui résolut d’en faire le siège. Il confia

  1. Maurice, transmettant cette nouvelle au comte de Bruni, lui envoie une dépêche singulièrement laconique. Est-ce la précipitation d’un homme qui n’a pas une minute à perdre ? Y a-t-il là quelque malice cachée dont le secret nous échappe ? Nous ne savons que répondre à ces questions. Voici le texte de cette dépêche, tel que M. de Weber l’a retrouvé dans les archives de Dresde :
    « Iglau, 19 février 1742.

    « Vous n’avez plus d’armée.

    « MAURICE DE SAXE. »