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purifient au feu. C’est cette guerre d’Autriche, tout injuste qu’elle ait pu être, ce sont ces campagnes de 1741 à 1748, qui ont arraché à une littérature énervée les accens virils et tendres dont elle avait désappris la noblesse.

En rapprochant ainsi la guerre et les lettres, je pense à ces paroles d’un soldat de Maurice : « qui condamne l’activité condamne la fécondité. Agir n’est autre chose que produire : chaque action est un nouvel être qui commence et qui n’était pas. Plus nous agissons, plus nous produisons… » Et à quel moment Vauvenargues traçait-il cette maxime, fruit de son expérience et de sa douleur ? Au moment où, épuisé par les souffrances de la guerre, après la retraite de Prague, paralysé, aveugle, cloué sur son lit d’agonie, il attendait la mort avec cette stoïque douceur dont le spectacle régénérait Voltaire et lui arrachait, sept ans plus tard, une plainte si touchante : « tu n’es plus, ô douce espérance du reste de mes jours ! ô ami tendre, élevé dans cet invincible régiment du roi, toujours conduit par des héros, qui s’est tant signalé dans les tranchées de Prague, dans la bataille de Fontenoy, dans celle de Lawfeld où il a décidé la victoire ! La retraite de Prague, pendant trente lieues de glaces, jeta dans ton sein les semences de la mort que mes tristes yeux ont vues depuis se développer… Je sentirai longtemps avec amertume le prix de ton amitié, à peine en ai-je goûté les charmes, — non pas de cette amitié vaine qui naît dans les vains plaisirs, qui s’envole avec eux et dont on a toujours à se plaindre, mais de cette amitié solide et courageuse, la plus rare des vertus. C’est ta perte qui mit dans mon cœur ce dessein de rendre quelque honneur aux cendres de tant de défenseurs de l’état, pour élever aussi un monument à la tienne… »

O magie des influences secrètes ! l’ardeur de Maurice éveille l’amour de la gloire chez de jeunes héros ; Hippolyte de Seytres est célébré par Vauvenargues, son camarade au régiment du roi ; Vauvenargues inspire à Voltaire des sentimens inattendus. Et qui sait si le poète des frivolités parisiennes, si brillant, mais si léger dans la première période de sa vie, ne devra pas à cette rencontre quelques-unes des inspirations viriles qui honoreront la seconde moitié de sa carrière ? Les choses véritablement grandes chez Voltaire, ses luttes pour l’humanité, sa conquête de la tolérance, sa défense de Calas, de Sirven, de Labarre, de Montbailly, de Lally-Tollendal, les encouragemens qu’il prodigue aux rois émancipateurs, son enthousiasme pour Turgot, ses meilleures journées enfin sont postérieures à cet épisode, et si d’autres influences ont contribué aux inspirations suprêmes de ce mobile esprit, les souvenirs de 1741 peuvent en revendiquer une bonne part. L’action engendre l’action,