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même, il n’y avait ni eau douce, ni bois, ni fourrages. Le sel était mêlé au sable, à l’argile, aux roches solides, et l’eau de pluie devenait saumâtre en peu d’instans au contact du sol. Aussi Eyre ne rapporta-t-il de cette expédition que des souvenirs de désolation. Les noms qu’il a inscrits sur l’itinéraire de son voyage en font foi. On y trouve le mont Erreur, la plaine des Illusions. Parvenu à l’extrémité de la chaîne du Flinders, inquiet déjà pour la sécurité de ses compagnons et de ses chevaux, car il n’avait plus que très peu d’eau douce et de fourrages, il découvrit au loin une dernière montagne, le mont du Désespoir, et voulut en faire l’ascension avant de retourner sur ses pas ; mais, au-delà d’une plaine nue et désolée, il n’aperçut rien que le lac et les dunes qui s’étendaient à perte de vue.

Il paraissait donc impossible de pénétrer au centre du continent par cette voie. À supposer qu’une petite expédition bien équipée eût pu s’aventurer plus loin et découvrir, au-delà des terres fertiles, les colons et leurs troupeaux n’auraient pu traverser à leur suite cet affreux désert. Eyre revint à la tête du Golfe-Spencer, où le lac Torrens se termine, en laissant entre lui et la mer un isthme étroit. Il essaya alors de tourner la région des lacs par l’ouest ; repoussé par des buissons impénétrables, par l’absence d’eau et la privation de nourriture, il lui fallut encore revenir sur ses pas.

Ainsi les colons d’Adélaïde semblaient être arrêtés au nord par une barrière infranchissable. Après les belles plaines de la Murray, que l’on a surnommées le grenier de l’Australie, régnait le désert, et un désert d’une étendue considérable. La région des Lacs-Salés n’a pas moins de quatre degrés de large en latitude et presque autant en longitude, c’est-à-dire qu’elle occupe une surface à peu près aussi grande que l’Angleterre. Repoussé de ce côté par des obstacles qui lui paraissaient insurmontables, M. Eyre se résolut à tenter la fortune vers l’ouest. Était-il possible d’ouvrir une communication terrestre entre le Golfe-Spencer et les établissemens européens de la Rivière des Cygnes, sur la côte occidentale ? Telle était la question que l’intrépide explorateur se proposait de résoudre.

La côte méridionale de l’Australie, vue sur une carte, présente dans sa partie gauche un grand renfoncement, de forme régulière, que les marins ont nommé la Grande-Baie (Great-Bight). Cette région est désignée plus habituellement sous le nom de Terre de Nuyts. Les navigateurs s’en éloignent le plus possible, parce qu’il n’y existe ni port, ni baie où l’on soit à l’abri, et surtout parce qu’un violent courant venant du pôle entraîne les navires à la côte. Le capitaine Flinders, qui avait reconnu ces parages au commencement du siècle, n’y avait trouvé qu’une plage unie, tantôt basse et sablonneuse, tantôt escarpée en falaises de 100 à 200 mètres de hauteur.