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Des roches verticales que le courant avait minées par la base, et qui semblaient sur le point de s’ébouler, étaient un obstacle à ce que l’on pût s’en approcher d’assez près, un seul fait paraissait bien établi, c’est que, sut toute la longueur de cette grande crique, qui a plus de 1,000 kilomètres de développement, aucun ruisseau ne se déverse dans la mer. La région intérieure ne pouvait être privée de pluie, car on voyait de gros nuages, chassés par le vent du sud, s’avancer au-dessus du continent. Que devenaient donc les eaux ? dans quelle direction s’écoulaient-elles ? À défaut d’une contrée fertile sur toute son étendue, ne pouvait-on rencontrer quelques oasis intermédiaires qui serviraient d’étapes pour passer d’une colonie à l’autre.

M. Eyre se mit en route sans autre escorte que trois indigènes et un européen qui l’avait accompagné dans ses expéditions précédentes et lui était entièrement dévoué ; il emmenait aussi quelques chevaux et quelques bœufs ; des barils pleins de farine et des barils vides, pour faire provision d’eau, composaient tout son bagage. Les difficultés de la marche apparurent bientôt. Le bord de la mer que suivaient les voyageurs est un plateau de craie rongé au pied par les vagues et couvert à sa surface par d’épais buissons qui s’étendent à perte de vue vers l’intérieur. Sur d’étroites dunes de sable, entassées par le vent, croissent çà et là des herbes maigres et à demi desséchées. Pendant le jour, un vent brûlant chargé de sable souffle de l’intérieur ; le soir, il est refoulé par une brise glaciale qui arrive de l’océan. À des distances de 200 à 300 kilomètres, on rencontre de petits amas de sable, et, en creusant jusqu’à la craie, on peut recueillir un peu d’eau saumâtre à la surface du roc. Ce fut la seule eau à peu près potable que les voyageurs rencontrèrent pendant leur longue pérégrination. Ils restaient quelquefois une semaine entière sans pouvoir renouveler leur provision. Pendant les premiers jours qui suivaient la découverte d’une fontaine, les chevaux marchaient volontiers et portaient sans peine les bagages ; puis, quoique le poids diminuât peu à peu, comme le panier d’Ésope, à mesure que l’on vidait les barils, leurs forces déclinaient ; il fallait abandonner sur la route une partie du chargement. Au cinquième ou sixième jour, les bêtes de somme étaient incapables de se traîner plus loin. Alors M. Eyre continuait son chemin, avec ses acolytes, en emportant les barils vides jusqu’au plus prochain mamelon. Le puits creusé, les hommes rafraîchis, on revenait en arrière pour sauver les animaux eux-mêmes et pour rechercher les bagages dont ils s’étaient allégés !

Il y avait deux mois que la petite troupe était en route, et déjà elle avait accompli la moitié du trajet, lorsqu’un affreux malheur vint s’ajouter aux périls et aux privations du voyage. À l’une des