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Ce que souffrirent les voyageurs dans cette prison d’un nouveau genre, il est à peine possible de le concevoir. Six mois durant, il ne tomba pas une goutte d’eau. La chaleur devenait excessive et tellement insupportable qu’il fut nécessaire de creuser une caverne dans le sol pour servir d’abri au milieu de la journée. Le bois et la corne se fendillaient. La laine des moutons et les cheveux des hommes cessaient de croître ; les ongles devenaient friables comme du verre. Nourris de viandes salées et abreuvés d’eau saumâtre, ils furent bientôt attaqués du scorbut. L’existence de toute la troupe dépendait du petit étang qui était près d’eux, et qui heureusement ne fut pas desséché. Lorsque l’automne revint et que les premières pluies tombèrent, M. Poole, épuisé par les privations, succomba et fut enterré sous une pyramide de pierres dans le voisinage d’une montagne qui a conservé son nom, monument durable des souffrances que ses compagnons et lui avaient ressenties.

Loin d’être découragé par ce pénible début, Sturt résolut de mettre à profit l’hiver qui revenait pour pénétrer plus avant. À une centaine de kilomètres au-delà du point où il venait de rester si longtemps confiné, il découvrit une nouvelle vallée suffisamment verte et arrosée pour que la troupe pût y faire un long séjour. Laissant alors dans ce dépôt la majeure partie de son détachement, il essaya de pousser une pointe au nord-ouest dans la direction du centre, suivi seulement de quatre hommes et de quelques chevaux. Le pays présentait toujours l’apparence d’un désert ; de longues dunes de sable courant parallèlement de l’est à l’ouest donnaient à toute la contrée l’apparence d’un océan qui eût été solidifié tout d’une pièce. Il n’y avait nulle trace d’eau ni apparence que ces ondulations du sol fassent dues à l’action d’un courant. Le vent seul, soufflant toujours dans le même sens, devait avoir amassé les sables en collines d’une monotone uniformité. Puis tout à coup les dunes cessèrent et firent place à une plaine immense, toute jonchée de cailloux roulés. Sur le sol d’une aridité absolue, il n’y avait ni eau, ni herbe, ni buisson. Les chariots et les chevaux passaient sans y laisser de trace. À la limite de cette plaine, connue sous le nom de Désert pierreux de Sturt, les voyageurs trouvèrent une autre plaine non moins aride, quoique d’une nature argileuse, et sillonnée de larges fissures que les chevaux évitaient avec peine. Toute cette région avait l’apparence du lit d’un immense torrent, de plus de cinquante kilomètres de large, où les eaux auraient roulé avec impétuosité, broyant et entraînant tout sur leur passage. Enfin les dunes de sable reparurent, et la petite troupe put se rafraîchir et reprendre quelque repos dans une étroite vallée où un mince ruisseau, la rivière d’Eyre, conservait encore une légère quantité d’eau. Sturt désirait ardemment continuer sa route dans la même direction ; si