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haltes de nuit, tandis que M. Eyre s’était éloigné du camp pour surveiller les chevaux qui paissaient au hasard, le fidèle Européen qui l’avait accompagné fut assassiné par deux des indigènes, et ceux-ci, après avoir commis ce meurtre, s’enfuirent dans le bush en emportant tout ce qu’ils purent prendre d’eau et de farine. On comprend le désespoir du malheureux abandonné dans le désert, sans provisions, avec un natif sur la fidélité duquel il n’osait plus compter. Il fut contraint de tuer les chevaux l’un après l’autre et de se nourrir de leur chair cuite au soleil. Heureusement les falaises s’abaissèrent ; une route plus facile lui permit de suivre le bord de la mer, où de temps en temps il attrapait quelques poissons. Enfin un baleinier français qui croisait dans ces parages le prit à son bord et le conduisit à peu de distance de la colonie d’Albany. Ce voyage, accompli au prix de tant de fatigues, n’eut d’autre résultat que de prouver la stérilité absolue de la Terre de Nuyts ou du moins de la partie de cette région qui avoisine la mer, car il est encore permis de croire que l’on trouverait à l’intérieur un chemin plus praticable. Toutefois aucune nouvelle tentative n’a été faite dans cette direction.

Ce fut M. Sturt, l’heureux explorateur du cours de la Murray, qui reprit, peu d’années après, la direction des expéditions vers le nord. Il se mit en route pendant l’hiver de 1844[1] à la tête d’un parti de seize hommes ; il avait pour premier lieutenant M. Poole et pour second M. Stuart, qui depuis s’est illustré lui-même en atteignant le premier le centre du continent et en le traversant tout entier d’une mer à l’autre. Afin d’éviter les pays désolés qu’Eyre avait déjà parcourus sans succès, Sturt, se dirigeant plus, à l’est, voulait remonter d’abord la vallée de la Murray, puis un de ses affluens, le Darling, dont les bords étaient en partie colonisés, et ne quitter cette dernière rivière qu’au moment où elle s’écarterait trop de la direction vers le nord, qui lui était assignée. Il accomplit sans danger cette première partie de son voyage ; mais ensuite il se trouva dans un district stérile, entrecoupé ça et là de petites vallées, — ce que l’on appelle creek dans la langue coloniale, — où l’eau se conservait dans des étangs entourés de maigres arbustes et d’un peu de verdure. C’étaient de véritables oasis au milieu du désert. Les premières chaleurs survinrent bientôt, desséchant tout à la ronde ; en dehors de la vallée où l’expédition s’était arrêtée, les ruisseaux étaient sans eau, l’herbe était brûlée par le soleil. Sturt se vit donc enfermé dans le désert sans pouvoir avancer ni retourner sur ses pas.

  1. L’Australie étant située dans l’hémisphère austral, il ne faut pas perdre de vue que le cours des saisons y est renversé. L’hiver de ce pays occupe le milieu de l’année et les mois les plus chauds de l’Europe.