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les libertés. C’est ainsi que naquit la constitution belge du souffle libéral de Lamennais ; on peut dire qu’elle est en grande partie son œuvre, car sans son influence le clergé eût sans doute fait prévaloir les principes du jugement doctrinal et les maximes traditionnelles de l’église. Bientôt en effet, dans la fameuse encyclique de 1832, le souverain pontife, invoquant la doctrine invariable du catholicisme, condamna hautement les nouveautés téméraires de Lamennais, et par suite les articles de la constitution belge qui les avaient consacrées.


« De cette source empoisonnée de l’indifférentisme, — ainsi par le Grégoire XVI du haut du Vatican, — découle cette maxime fausse et absurde, ou plutôt ce délire (seu potius deliramentum), qu’il faut assurer et garantir à chacun la liberté de conscience (libertatem conscientiœ), erreur des plus contagieuses, laquelle aplanit la voie à cette liberté absolue et sans frein des opinions qui, pour la ruine de l’église et de l’état, va se répandant de toutes parts, et que certains hommes, par un excès d’imprudence, ne craignent pas de représenter comme avantageuse à la religion. Mais, disait saint Augustin, qui peut mieux donner la mort à l’âme que la liberté de l’erreur ?…

« A cela se rattache cette liberté très funeste, très détestable, et dont on ne peut avoir assez d’horreur (nunquam satis execranda), la liberté de la presse, que quelques-uns osent solliciter et étendre partout avec tant de bruit et d’ardeur… La discipline de l’église fut bien différente dès le temps même des apôtres, que nous lisons avoir fait brûler publiquement une grande quantité de mauvais livres. Il suffit de parcourir les lois rendues sur ce sujet dans le cinquième concile de Latran et la constitution qui fut donnée depuis par Léon X, notre prédécesseur, d’heureuse mémoire. « Il faut combattre avec force, dit Clément VIII, notre prédécesseur, d’heureuse mémoire, dans ses lettres encycliques sur la proscription des livres dangereux, il faut combattre avec force, autant que la chose le demande, et tâcher d’exterminer cette peste mortelle, car jamais on ne retranchera la matière de l’erreur qu’en livrant aux flammes les coupables élémens du mal (nisi pravitatis facinorosa elementa in flammis combusta depereant)…

« Nous n’aurions à présager rien d’heureux pour la religion et pour les gouvernemens en suivant les vœux de ceux qui veulent que l’église soit séparée de l’état et que la concorde mutuelle de l’empire et du sacerdoce soit rompue, car il est certain que cette concorde, qui fut toujours si salutaire aux intérêts de la religion et à ceux de l’autorité civile, est redoutée par les partisans d’une liberté effrénée. »


Cet imposant arrêt du juge infaillible des doctrines anéantit le beau rêve d’une alliance féconde entre le catholicisme et la liberté. Devant la décision du souverain pontife, Lamennais se redressa, et, fidèle à la liberté, rompit définitivement avec Rome. M. de Montalembert et Lacordaire s’inclinèrent, gardant toutefois, à l’abri d’une obéissance bien souvent voisine de la révolte, quelques-unes de leurs vieilles et chères illusions. Quant au clergé belge, il renonça