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à conquérir[1], et renfermons nos critiques dans le domaine de la philosophie proprement dite.

Il est deux points sur lesquels le positivisme me paraît franchir les bornes de la sagesse scientifique : c’est d’abord par sa complaisance (involontaire, j’y consens, mais évidente) pour le matérialisme, en second lieu par sa négation absolue de toute métaphysique. Sur le premier point, M. Littré vient de s’expliquer encore une fois dans la préface de sa nouvelle édition d’Auguste Comte, où il nous fait l’honneur de citer nos études sur le matérialisme contemporain et d’y répondre en quelques pages. On ne s’étonnera pas qu’ayant rencontré un contradicteur aussi éminent, nous tenions compte de toutes ses paroles : aussi bien sommes-nous ici dans le cœur de notre sujet. M. Littré nous dit que l’on se tromperait gravement en se persuadant que les critiques dirigées contre le matérialisme tombent sur la philosophie positive, et il prend de là occasion pour séparer de nouveau ces deux idées, et montrer que le positivisme, désintéressé entre toutes les écoles spéculatives, n’est pas moins indifférent au matérialisme qu’au spiritualisme. Nous sommes très heureux pour notre part de cette protestation, et nous n’éprouvons nul besoin de ranger malgré lui M. Littré parmi les matérialistes et les athées ; mais est-il vrai que l’école positive a toujours été aussi sage ? S’est-elle toujours tenue à égale distance des deux hypothèses ? Et n’a-t-elle pas penché d’un certain côté plus que ne le permettait l’impartialité métaphysique qu’elle affecte en ces matières ? C’est ce dont il est permis de douter.

Je demande à l’école positiviste une définition de l’âme. Si cette école est fidèle à ses principes, si elle veut se dégager de toute hypothèse, elle dira : âme est un mot qui désigne la cause inconnue et hypothétique des phénomènes de pensée, de sentiment et de volonté. Voilà quelle devrait être la définition positiviste de l’âme, si le positivisme est distinct du matérialisme. Ce n’est pas celle que nous donnent MM. Littré et Robin dans leur édition du Dictionnaire de Nysten. ils nous disent que l’âme est un mot qui signifie, « considéré anatomiquement, l’ensemble des fonctions du cerveau et de la moelle épinière, et, considéré physiologiquement, l’ensemble des fonctions de la sensibilité encéphalique. » Que M. Littré veuille bien nous dire en quoi une telle définition diffère de celle que pourrait proposer le matérialisme le plus déclaré.

Je ne m’arrêterai pas à prouver combien une telle définition est

  1. Il faut signaler toutefois dans un ordre d’idées analogues à celles de l’école positive, mais plus circonspectes et plus élevées, l’Essai sur les idées fondamentales de M. Cournot, ouvrage ingénieux, plein de vues et de recherches, qui mériterait à lui seul’un examen approfondi.