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degrés. Pourquoi la métaphysique ne serait-elle pas une de ces sciences ?

Que si vous dites que le rapprochement est inexact, parce que l’histoire après tout ne s’occupe que de faits, et que c’est encore là le domaine du relatif, tandis que la métaphysique prétend connaître l’inaccessible, c’est-à-dire l’absolu, je réponds que vous posez ce qui est en question, à savoir que l’homme ne possède aucune notion absolue et ne doit s’occuper que du relatif, proposition qui ne pourrait être démontrée que par la science même que vous excluez. D’ailleurs il faut distinguer l’invisible de l’absolu, et quand même on accorderait que l’homme ne peut atteindre aux derniers élémens des choses, il ne s’ensuivrait pas qu’il fût forcé de s’en tenir aux phénomènes, car au-delà de ces phénomènes il peut y avoir des causes et des substances, qui, sans être elles-mêmes des principes premiers, seraient encore des principes relativement à nous. Et enfin, lors même qu’on n’accorderait aucune réalité objective à ces notions de cause, de substance, de temps, d’espace, d’infini, qui nous enveloppent et s’imposent impérieusement à toutes nos pensées, il y aurait toujours à analyser et à critiquer ces idées, à montrer le lien qui les unit, à en faire un système, et la métaphysique subsisterait encore à titre d’idéologie.

Mais enfin accordons (en prenant ce terme de science dans son sens le plus étroit) que la métaphysique n’est pas une science : je ne vois pas encore ce que l’on en conclura. Conclura-t-on qu’il faut supprimer la métaphysique ? Alors faut-il donc supprimer tout ce qui n’est pas la science ? C’est ce que je vous prierai de me démontrer. Eh quoi ! en dehors de la science armée de tous ses procédés, il n’y a plus rien pour l’homme que de se livrer à ses instincts, à ses sens, à ses appétits, à ses imaginations ! Nous prétendons qu’il y a quelque autre chose : cette autre chose, c’est la pensée. Et oserez-vous soutenir que tout ce qui n’est pas scientifique (toujours dans le sens étroit que vous entendez) n’est pas la pensée ? Entre la vie purement scientifique et la vie animale, il y a un milieu qui est la vie propre de l’homme, et qui le caractérise entre toutes les espèces de la nature, c’est la vie pensante et réfléchie. Or quiconque pense et réfléchit est un philosophe, et quiconque pense et réfléchit sur les origines des choses est un métaphysicien. Supposez que ces pensées et ces réflexions, au lieu d’être accidentelles, passagères, mêlées aux actions de la vie, deviennent l’objet continu et profondément médité d’un esprit supérieur, vous voyez alors la philosophie et la métaphysique s’élever au-dessus de la raison vulgaire et prendre le titre de sciences. Nous prétendons qu’elles en ont le droit : vous le contestez, soit ; mais c’est là un vain débat. L’impor-