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Celui-ci critiquait ce qu’il connaissait profondément, et les positivistes combattent ce qu’ils ne connaissent pas du tout. Eh bien ! Kant avait à peine dit son dernier mot que Fichte, pour expliquer ce mot, rentrait dans la métaphysique, et l’on a vu cet étrange phénomène, le scepticisme le plus hardi engendrant par la force même de la logique l’ontologie dogmatique la plus audacieuse que la philosophie ait connue. Après un tel exemple, qui pourrait croire en avoir fini avec la métaphysique ? Qui se flatterait d’avoir, suivant l’énergique expression d’Hamilton, « exorcisé à jamais le fantôme de l’absolu ? »

Comme les hommes sont surtout sensibles aux raisons qui se présentent sous la forme d’aphorismes ou d’axiomes, on a résumé toutes les critiques contre la métaphysique par cette formule, qui pour beaucoup d’esprits est péremptoire : « la métaphysique n’est pas une science ; » mais il me semble qu’il faut y regarder de plus près, et ne pas condamner sur l’étiquette une étude qui a pendant si longtemps occupé les plus grands esprits. Tout dépend de la définition du mot science. Si l’on prend pour type absolu les sciences rigoureusement démonstratives, par exemple les mathématiques, ou, dans l’ordre expérimental, l’astronomie, certaines parties de la physique et de la chimie, j’accorde que la métaphysique n’est pas une science ; mais n’est-ce pas là une définition arbitraire de mots ? Ce ne sera pas seulement la métaphysique que l’on condamnera au nom d’une définition étroite, ce sera toute science morale en général, car ces sortes de sciences échapperont toujours aux procédés rigoureux des sciences exactes. L’histoire, par exemple, peut-elle être une science au même titre que l’astronomie et la chimie ? Non, sans doute, car il lui manquera toujours deux grands procédés de vérification, l’expérience et le calcul. Dira-t-on que sur certains faits l’accord des témoignages est un argument qui équivaut pour l’exactitude à l’observation immédiate ? J’y consens ; mais un tel accord n’a jamais lieu que pour les grands faits. Quant aux faits délicats (qui sont souvent les plus intéressans), il faudra toujours laisser une assez grande latitude à l’interprétation de l’historien, c’est-à-dire à un procédé moins rigoureux. Il est enfin une partie de l’histoire qui échappera toujours aux procédés de la méthode positive : c’est la pensée, c’est l’âme, c’est la morale. Retrancherez-vous tous ces élémens comme trop poétiques ? Interdirez-vous à Montesquieu ses considérations, à Tacite ses jugemens ? Réduirez-vous l’histoire au positif, c’est-à-dire à l’écorce ? Renoncerez-vous au fruit, c’est-à-dire à la pensée, dont l’histoire n’est que la manifestation ? Si vous faites cela, vous mutilez l’esprit humain ; si vous ne l’osez faire, reconnaissez qu’il y a des sciences de diverse nature et de divers