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en vain ! une voix mystérieuse l’annonça au siècle Ier, de l’ère chrétienne, la nature est immortelle. J’ai retrouvé l’étincelle de vie, et de lumière sous la cendre amoncelée, dix siècles durant, par les préjugés, les superstitions, les terreurs et les despotismes du moyen âge, et cette étincelle opiniâtre, je vous l’ai rendue ravivée. Or dans ces livres de fantaisie, comme la Femme et l’Oiseau, c’est encore le tressaillement de l’immense nature éternelle que le poète-historien désire exciter au sein de ce monde. Tout plein de sa pensée fixe, il essaie de réchauffer les âmes et les esprits, pour que dans l’avenir les historiens n’aient pas comme lui des larmes au cœur en regardant en arrière. Et de même que dans ses tableaux du passé l’auteur absorbe notre âme et l’accable de son idée, de même il se saisit d’elle et l’emporte, à peu près d’assaut par ses peintures exaltées de la vie privée et individuelle. Sans doute nous reprenons tôt ou tard nos sens, nous rentrons dans notre opinion calme et nette ; mais l’écrivain a eu son triomphe, il est satisfait.

Qu’a donc en définitive gagné ou perdu l’histoire à être traitée par M. Michelet ? L’action exercée chez nous par cet historien a été, à beaucoup d’égards, à peu près celle qu’a exercée en Angleterre le hardi penseur Thomas Carlyle. Carlyle est avec lui le seul esprit qui ait porté, dans l’histoire ce mysticisme particulier qui détonne, pour ainsi dire, par des mouvemens d’intuition brusque et directe. Comme lui, afin d’arriver plus vite à son but, l’auteur anglais de l’Histoire de la Révolution française fait bon marché des méthodes et de la logique ; il court volontiers le risque de grossir l’importance des choses, des êtres et des événemens, de mal fondre les nuances, d’entasser ou de brouiller les détails, pourvu qu’il donne à son récit la chaleur et la vie ; il a des larmes et des sourires, il plane mélancoliquement ; il se livre aux élans lyriques comme M. Michelet, il sait étager les faits et les personnages d’une façon tellement pittoresque qu’on a quelque peine à comprendre au premier abord que les choses en réalité puissent être dans un autre ordre.

De même chez nous, sous la plume de M. Michelet, l’histoire est devenue en quelque façon, une chose d’inspiration et de premier jet. Avec lui, l’imagination, que l’école d’Augustin Thierry avait appelée à orner, dans d’heureuses proportions, la science d’attraits et de couleurs, élargit son domaine à perte de vue, outre ses caprices et sa poésie. L’historien tombe dans les extases de l’illuminisme. Par suite, la démonstration se trouve sacrifiée, le lecteur traité sans façon. Malgré une étude approfondie des documens de toute sorte, les procédés de l’exposition et de la critique gardent une manière aventureuse qu’aggrave l’amour des contrastes et des rapprochemens. On a parlé d’une transformation de l’esprit historique, peut-être le mot déviation serait-il juste à quelques égards, puisque l’histoire, en définitive, doit démontrer avant d’émouvoir. M. Michelet n’en est pas moins, malgré ses écarts, une renommée légitime et bien établie ; nul