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capitaine Grantn des reinettes tapées de la Normandie. Le jus qu’on en extrait devient une excellente boisson, et la pulpe peut être convertie en un pain substantiel ou conservée par la dessiccation pour former la base de potages que les marins trouvent fort de leur goût. Les jeunes pousses, préparées par la cuisson, forment un légume d’une saveur agréable. Les Waganda (on nomme ainsi les habitans de l’Uganda) façonnent avec les feuilles vertes des vases pour porter de l’eau ou des tuyaux pour la faire passer d’un lieu dans un autre ; ils se servent des feuilles sèches pour couvrir les toits, ou remplir la charpente des palissades. Ils en font aussi des sacs pour garder leurs grains. Les fragmens de la tige leur tiennent lieu de savon, et des filamens dont elle est en partie composée ils tirent leurs cordages. Ce n’est que dans l’Uganda que le bananier se trouve dans les conditions climatériques qui conviennent à sa riche nature : La zone qu’il occupe embrasse une largeur de 200 kilomètres dont l’équateur marque le centre. Passé le premier degré de latitude nord, les bananeries, jusque-là si pressées et si splendides, deviennent plus rares, le sujet perd de sa vigueur et finit par disparaître sous le 2e degré.

Les habitans de cette contrée favorisée ressembleraient à leurs congénères, si le despotisme brutal qui pèse sur eux n’avait donné à leurs traits une expression de dureté. Leur vêtement consiste en une espèce de manteau qu’ils attachent sur l’épaule droite et qui tombe jusqu’aux chevilles ; ils l’appellent mbougou. Il est fait d’un certain nombre de bandes d’écorce de figuier artistement cousues ensemble. Pour obtenir cette écorce sans faire mourir l’arbre, ils font au tronc des incisions parallèles, enlèvent la bande ainsi détachée, puis recouvrent immédiatement la partie dénudée de feuilles de bananier ; sous cet appareil, l’écorce repousse, et la blessure se guérit. On laisse ces bandes dans l’eau pendant un temps limité, on les bat ensuite avec des maillets dont les larges têtes sont taillées à facettes jusqu’à ce qu’elles aient au toucher l’apparence du velours de coton à carreaux ou à côtes.

Ce fut le 10 janvier 1862 quelle capitaine Speke fit ses adieux à son ami Rumanika et s’achemina vers le nord. Il descendit graduellement les hauteurs qui forment les premières assises sur lesquelles s’élèvent les montagnes de la Lune, et atteignit, après cinq jours de marche, le Kitangulé, magnifique cours d’eau qui coule de l’ouest à l’est sous le 1° 16’ de latitude sud, et va se décharger dans le lac Victoria. Il est très profond et a trois cents pieds de largeur. Le 29, se trouvant sur une colline assez élevée, Speke aperçut pour la première fois dans ce voyage le Nyanza-Victoria. L’émotion qu’il ressentit fut profonde : il lui semblait que la moitié de sa tâche était remplie et qu’il ne tarderait pas à l’achever en suivant une route