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parallèle aux rives du lac. Ce fut avec peine qu’il s’arracha à ce spectacle grandiose pour descendre dans les vallées et poursuivre sa route. Il entra dans un village où les habitans, affublés des plus bizarres costumes, faisaient un vacarme affreux, Il apprit que c’était un charivari qu’ils donnaient au malin esprit pour l’éloigner de leurs demeures.

Le capitaine Speke passa sous la ligne le 8 février 1862, et se trouva de nouveau en face du lac, à l’endroit où les deux rives du nord et de l’ouest se réunissent. Sa vue embrassait à droite et à gauche une vaste étendue de côtes, entre lesquelles se déployait une immense nappe d’eau légèrement ondulée, qui semblait vouloir fuir le rivage pour aller se perdre sous les lignes incertaines d’un horizon brumeux. On distinguait non loin des côtes un groupe d’îles au milieu desquelles se trouvait à l’ancre une division de la flotte royale de l’Uganda. Le voyageur descendit ensuite dans la belle vallée de Katonga, où il devait trouver, d’après les renseignemens des Arabes, une rivière large et profonde qui allait se déverser dans le lac. Il n’y rencontra que quelques ruisseaux fangeux, couverts de roseaux, qui essayaient de se faire jour au milieu d’une multitude d’îlots et de languettes de terre. Il les traversa à pied, portant ses habits sous le bras ; mais il apprit que ces ruisseaux de si chétive apparence se transformaient à de certaines époques de l’année en un cours d’eau de premier ordre, et que ces époques ne coïncidaient pas avec les saisons pluvieuses. C’est dans cette vallée que des pages du roi Mtesa, portant sur leur tête rasée deux mèches de cheveux disposées en forme de croissant, vinrent lui présenter de la part de leur maître trois baguettes, symbole de trois remèdes qu’il lui demandait. Le premier devait délivrer un de ses parens de rêves fâcheux qui troublaient son sommeil ; le second devait communiquer au roi la vertu d’avoir une nombreuse lignée, et le troisième lui fournir les moyens d’inspirer, à son peuple une plus grande terreur. Le capitaine chargea ces pages de dire à leur maître qu’il répondrait directement à sa triple demande.

Arriyé sous le 0° 17′ 10″ de latitude nord, le capitaine fut arrêté par une rivière que les naturels appellent Mwarango. Large de 300 mètres, cette rivière aurait offert l’aspect d’un long, mais étroit marécage, si quelques courans ne se fussent frayé un passage au travers des joncs dont son lit est couvert. Un de ces courans avait 12 mètres de largeur sur 2 ou 3 de profondeur. En les traversant, l’explorateur s’aperçut à sa grande surprise que l’eau coulait du sud au-nord : il comprit qu’il avait franchi l’arête du vaste plateau de l’Afrique subéquatoriale, qu’il en descendait le versant septentrional, et que cette rivière devait être un tributaire du Nil, si elle n’était pas le Nil lui-même. Les gens de son escorte, qui con-