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troupeaux s’étaient multipliés bien au-delà de ce qu’il fallait pour l’alimentation des villes du littoral. Les propriétaires voyaient donc les débouchés se restreindre devant eux, et par conséquent le prix des animaux décroître dans une proportion considérable. Une nouvelle industrie vint améliorer un peu leur situation. Un colon eut l’idée de faire bouillir la viande pour en extraire le suif, qui a pris, depuis cette époque, une place importante dans les productions de la colonie[1]. Ce fut un palliatif insuffisant, et la plupart des squatters, accablés par les dettes qu’ils contractaient pour subvenir à l’entretien de leurs établissemens, en vinrent à contester la légalité de la redevance que la couronne exigeait d’eux.

En 1843, un gouvernement représentatif avait été accordé à l’Australie. Le parlement, composé de trente-six membres, dont vingt-quatre nommés par les colons et douze par la couronne, se réunit à Sydney, qui était encore la capitale de toutes les colonies australes, Cette assemblée, où les squatters dominaient, étant investie du droit de fixer les recettes et les dépenses, fit observer qu’une partie du revenu colonial, l’impôt requis pour la jouissance des pâturages, était indûment soustraite à son vote. — N’est-ce pas une anomalie, disaient-ils, qu’il y ait un double mode d’établir le budget des recettes, l’un avec le concours des représentans du pays, et l’autre par la seule volonté du gouverneur ? — La question avait une importance capitale, car la vente des terres avait produit 8 millions de francs, la moitié du budget local, pendant l’année 1840, qui fut, il est vrai, exceptionnelle sous ce rapport. Les squatters avaient bien d’autres motifs de plainte. Ils prétendaient que leur situation était précaire, qu’il n’y avait pour eux aucune sécurité à améliorer les terres dont ils étaient détenteurs, à y élever des constructions, même à entreprendre des travaux agricoles, qu’ils ne pouvaient emprunter aisément, en donnant leurs stations pour gage, puisque ce n’était qu’une propriété transitoire entre leurs mains. Avec dix mille moutons sur un run, il était impossible d’obtenir à crédit une caisse de sucre ou de thé. Le prix des bêtes à laine s’étant avili, ils ne pouvaient même plus se procurer par la vente les fonds nécessaires à l’entretien de leurs établissemens, au paiement des gages et de la nourriture de leurs

  1. Au moment de la crise, les moutons, qui avaient valu jusqu’à 75 francs par tête, étaient descendus à 4 francs ; l’industrie de l’extraction du suif les fit remonter à 8 ou 9 fr. On raconte qu’à cette époque de petites voitures circulaient le matin dans les rues de Sydney, chargées de gigots de mouton que l’on vendait aux consommateurs à raison de 60 centimes la pièce. Cette partie contenait, paraît-il, si peu de matière grasse qu’il y avait avantage à la vendre à ce prix plutôt que de la faire bouillir avec le reste de l’animal.