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chasse aux bestiaux sauvages. Certains districts de l’Australie sont peuplés aujourd’hui de taureaux sauvages qui se sont échappés des stations : c’est un voisinage assez désagréable, car ces bêtes mangent inutilement l’herbe destinée aux troupeaux apprivoisés, mais parfois aussi profitable, parce qu’il est possible de les amener dans les enclos et de les engraisser pour la vente. Ces divers travaux font au colon une existence active et animée qui séduit beaucoup les émigrans malgré l’isolement où l’on vit pendant une partie de l’année. Passant presque toute la journée à cheval, armé du grand fouet (stockwhip) auquel les troupeaux obéissent, le squatter vit en pleine nature, sans souci des événemens. Puis, quand la tonte des moutons est terminée et que les bêtes grasses ont été vendues, soit pour l’alimentation des villes, soit pour l’extraction du suif, il trouve que le produit de l’année se solde, pour peu que la station soit grande, par un bénéfice net de plusieurs centaines de mille francs. On comprendra aisément comment les profits peuvent être si considérables. Une station qui porte 10,000 têtes de gros bétail peut en vendre chaque année 3,000 au prix moyen de 120 francs environ, ce qui produit une somme de 360,000 francs. Si l’on élève des moutons, 50,000 bêtes donneront par an 50,000 toisons valant de 2 francs 50 centimes à 3 francs, soit de 125,000 à 150,000 francs pour la laine seulement ; or ces produits sont presque en entier un bénéfice net, car les frais d’exploitation de l’industrie pastorale sont insignifians. Les squatters devraient donc s’enrichir promptement. Par malheur, beaucoup d’entre eux ont commencé avec un capital d’emprunt et sont épuisés par les intérêts élevés qu’ils paient aux banquiers.

Les occupations variées qui remplissent la vie ordinaire du squatter sur sa station laissent place a des incidens plus dramatiques. L’homme s’y trouve sans cesse en face de difficultés contre lesquelles il ne peut trouver de meilleur allié que sa propre énergie. Cette existence développe de nobles qualités, surexcite l’initiative individuelle et fait apprécier la valeur de l’indépendance. À mesure que l’on s’éloigne davantage du littoral, ces qualités deviennent plus nécessaires. De sanglans conflits avec les indigènes ajoutent un nouveau péril aux dangers de la vie du désert. Aussi les aventuriers qu’un caractère insouciant ou belliqueux pousse toujours aux extrêmes limites du territoire occupé fournissent rarement une longue carrière. Ils périssent presque tous avant l’âge soit d’une chute de cheval, soit dans une lutte contre les bestiaux sauvages ou dans un combat contre les indigènes.

En général, à mesure que le squatter s’enrichit, il acquiert la nu-propriété du sol dont il n’avait jusqu’alors que la jouissance