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temporaire, et il s’attache au pays par les liens les plus soldes. Le squattage a produit un grand nombre de fortunes immenses qui profitent au pays et qui exerceront sans aucun doute une influence salutaire sur l’avenir de l’Australie, car elles y développeront le bien-être, le luxe et le goût des jouissances élevées. Veut-on un exemple de la façon dont ces richesses s’acquièrent et des péripéties par lesquelles les colons ont dû passer, voici, sous un nom supposé, l’histoire d’un émigrant qui quitta son pays natal en 1832, sans autre ressource que ses bras et sa bonne volonté, et qui reparut en Angleterre en 1860 avec un revenu évalué à plus de 500,000 francs. Smith était le fils d’un fermier des environs de Glasgow. Séduit par les merveilles que l’on racontait de la Nouvelle-Galles du Sud, il s’embarqua pour l’Australie à l’âge de vingt ans, en n’emportant que la somme juste nécessaire pour revenir en Europe au cas où il n’eût pu rester dans la colonie. À peine était-il arrivé à Sydney, M. Mac-Leay, secrétaire colonial, lui confie la gestion d’une station située à 250 kilomètres de la ville, entre Goulburn et Vass. C’était un établissement de peu d’importance à ce moment, car il n’y avait que 2,000 moutons. Le propriétaire lui offrait un salaire de 1,000 fr. par an, et en outre une remise de 1 pour 100 sur la valeur des toisons pendant la première année, et de 1 pour 100 en sus pour chacune des années suivantes. Ce mode de rémunération était un encouragement à améliorer la qualité de la laine et le nombre des troupeaux. Le personnel de la station se composait d’une douzaine de convicts. Ceci se passait à l’époque où la Nouvelle-Galles du Sud était encore une colonie pénitentiaire. Les déportés étaient, on le sait, attachés au service des colons, qui demandaient à les employer sous la condition de les nourrir et de surveiller leur conduite. On avait ainsi des manœuvres autant qu’il en fallait ; mais c’était un hasard de rencontrer dans cette catégorie d’hommes un individu qui fût propre à régir un établissement isolé.

Smith se trouvait sous le poids d’une lourde responsabilité. Ignorant de la vie et des habitudes coloniales, il eut d’abord à étudier le climat et la nature du sol de la station, le tempérament des troupeaux qui lui étaient confiés et le caractère des hommes qu’il avait sous ses ordres. Il y avait des traces évidentes que les bestiaux avaient été mal soignés pendant les années précédentes ; on voyait par exemple en certains endroits du run des amas d’ossemens, seuls restes des moutons qui avaient péri de maladie ou d’inanition. Soumises à un régime meilleur et à des soins mieux entendus, les bêtes à laine gagnèrent rapidement en nombre et en qualité. En 1836, une maladie épidémique, une sorte de catarrhe, qui décima les troupeaux, donna lieu de reconnaître que les terrains imprégnés de sel