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du moyen âge va se reconstituer aux antipodes. Il n’en est rien. La vie politique infuse à tous les degrés de la hiérarchie sociale les bienfaits de la vie commune. La féodalité fut due à l’isolement des seigneurs ; ici, au contraire, l’association est la règle. Les relations fréquentes de tous les colons entre eux corrigent ce que la vie pastorale et agricole a eu de funeste au début des anciennes sociétés.

Au sein de cette population laborieuse et civilisée, que devient l’indigène de l’Australie ? C’est un fait digne de remarque qu’il ne se soit établi aucune entente entre les deux races qui se disputent aujourd’hui le sol de ce continent. On n’a jamais songé à fusionner les indigènes et les Européens ; bien plus, l’idée d’amalgamer les deux races répugne aux colons anglais, qui considèrent les noirs comme incapables de se plier à des mœurs plus douces. Ce n’est pas que les points de contact aient manqué. Il arrive souvent que les colons sont en bons rapports avec les tribus de leur voisinage. Quelquefois des noirs entrent au service d’un squatter qui les occupe à la garde des troupeaux ou à la tonte des moutons, mais non à de gros ouvrages, car ce sont de faibles travailleurs. Ils restent là des mois entiers, une année même et plus. Cependant, si bien traités qu’ils soient, l’instinct sauvage reprend bientôt le dessus ; ils s’éloignent et retournent à leur vie aventureuse dans le désert. Souvent aussi des convicts ont pris des épouses dans la race indigène, et l’on a observé que les mulâtres issus de ces mariages semblent conserver une prédilection particulière pour l’existence vagabonde de leurs ancêtres maternels. Quoique la colonie ait dépensé des sommes considérables pour civiliser les indigènes et les amener par degrés à un genre de vie moins précaire, il est impossible d’en citer un seul qui se soit assoupli aux usages européens et qui ait renoncé sans retour à la vie sauvage. Certains missionnaires qui se sont dévoués à l’amélioration du sort de ces pauvres êtres ont prétendu découvrir en eux d’excellentes qualités. Ils étaient assidus aux exercices religieux, ils paraissaient goûter un vif plaisir à entendre les mélodies sacrées, et saisissaient avec vivacité les connaissances élémentaires qu’on essayait de leur inculquer. Les enfans surtout semblaient plus dociles, on le conçoit, à l’enseignement élémentaire qui leur était donné dans des écoles spéciales ; mais, parvenus à l’âge d’homme, ils reprenaient leur existence vagabonde. C’est ce qui advint à Benilong, un chef indigène qui, aux premiers temps de la colonie, fut envoyé en Angleterre et y reçut une éducation assez complète. Revenu dans sa patrie, il semblait initié à tel point aux habitudes européennes qu’il fut admis à la table du gouverneur. Cependant, quelques mois plus tard, il quittait les vêtemens européens