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Européens : c’est qu’il n’y a pas de place pour la population indigène au milieu de la société civilisée qui l’enveloppe de toutes parts. L’indigène tout nu ou simplement recouvert d’une peau d’opossum n’attire pas plus l’attention dans les rues opulentes de Sydney que son compatriote aux instincts primitifs sur le run d’une station éloignée. L’un et l’autre, le sauvage à demi civilisé et le sauvage insoumis, paraissent incapables de prendre nos mœurs, de se plier à nos usages. Que ce soit l’abus des liqueurs fortes ou les balles du colon qui les détruisent, il importe peu. La race entière disparaîtra de nos jours, et la génération qui vit encore en ce moment sera sans doute la dernière. On n’a que des données très incertaines sur le nombre des naturels qui occupaient, à l’époque de l’arrivée des Européens, les provinces colonisées aujourd’hui, et l’on ignore même combien il en reste au juste maintenant ; cependant il est incontestable que la destruction de la race s’opère avec une rapidité prodigieuse. Un recensement assez exact, qui fut fait en 1861 dans la province de Victoria par les soins du bureau central pour la protection des aborigènes, fixe à moins de 2,000 le nombre des survivans, divisés en plus de cinquante petites tribus errantes, tandis qu’au moment de la fondation de cette colonie, en 1835, il y en avait de 6,000 à 7,000. Dans l’Australie méridionale, on en compte 5,000 environ. Pour la Nouvelle-Galles du Sud, il n’y a pas eu de statistique publiée ; on sait seulement que les noirs ont totalement disparu dans un rayon très étendu autour de Sydney, et que de la tribu qui occupait, au nombre de 400 individus, les bords de Port-Jackson lorsque le capitaine Phillip y vint débarquer, il ne survivait, il y a vingt ans, qu’un homme et trois femmes. La Terre-de-la-Reine renferme encore de 10,000 à 15,000 naturels sur son immense territoire. Enfin, pour l’Australie entière, y compris les portions encore inoccupées, on évalue la population indigène totale à 400,000 âmes ; mais ce chiffre ne présente aucune certitude, puisqu’il s’agit de tribus avec lesquelles on n’a aucune relation.

Il y aurait de l’injustice à ne pas reconnaître que le gouvernement local fait de sérieux efforts pour arrêter la dépopulation, et qu’il est aidé dans cette tâche par le concours des hommes les plus honorables de la colonie. Le gouvernement n’a pas, il est vrai, le pouvoir et n’a même pas sans doute la volonté d’intervenir dans la lutte qui se continue entre les deux races aux avant-postes de la colonisation, et surtout aujourd’hui dans les districts les plus récemment occupés de la Terre-de-la-Reine ; il ne peut que désavouer les massacres inutiles qui ne sont pas justifiés par la nécessité de la défense personnelle, et blâmer énergiquement les procédés plus atroces encore de certains overlanders qui, dit-on, dressent des chiens à la