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de hardiesse dans la navigation, d’élégance et de coquetterie dans la tenue des navires. Une ère de progrès, bien entendu s’ouvrit pour nous. Nous avions beaucoup à apprendre : nous apprîmes vite, quelquefois même nous laissâmes en arrière ceux que nous voulions imiter. L’amiral de Rigny était homme d’initiative. Par sa situation personnelle, par ses grandes relations dans le monde, il dominait de très haut les capitaines rangés sous ses ordres, presque tous jeunes d’ailleurs et animés d’une noble ambition. Il fonda une école. Il fit, dans une certaine mesure, pour notre marine ce que l’amiral Jervis avait fait pour la marine anglaise. C’est surtout dans la Méditerranée que les escadres peuvent perfectionner leur organisation militaire. La beauté du climat, la fréquence des relâches, le terrain même sur lequel on manœuvre, tout y favorise l’établissement d’un service régulier.

Les relations qui s’établirent entre nous et les officiers anglais nous furent très profitables : elles nous firent partager le bénéfice de leurs traditions. Nous acquîmes ainsi en peu de temps ces secrets de l’atelier que nous eussions peut-être mis des années à découvrir. C’est dans le Levant qu’un esprit nouveau prit naissance. L’anglomanie envahit notre marine, elle ne la fourvoya pas. Si sur quelques points l’imitation fut poussée jusqu’à la puérilité, si les officiers les plus graves durent, jusque dans leur costume et dans les intonations de leur commandement, céder à l’engouement presque général, la voie dans laquelle on s’était éperdument lancé n’en était pas moins salutaire. Le progrès, le véritable progrès, était au bout. Comme dans toutes les affaires de mode, ce fut la jeunesse qui poussa les retardataires en avant. De très jeunes officiers jouèrent à cette époque un rôle plus considérable qu’on ne l’a peut-être remarqué. Leur ardeur ébranla l’opinion publique, et, dès que cette opinion se fut prononcée, les plus altiers courtisèrent ses suffrages. On eut beau regimber, il fallut plaire à ces juges, qu’on affectait vainement de dédaigner. Dès qu’un navire arrivait dans la station, il se trouvait pendant quelques jours sur la sellette. Pas un de ses mouvemens qui ne fût surveillé ; on le passait en revue de la pomme à la flottaison. La tenue de sa mâture, le tracé de sa ligne de batterie, devenaient l’objet du plus minutieux examen ; puis venaient ses embarcations : la nage des canotiers et la coupe des voiles provoquaient le sourire ou obtenaient l’assentiment. Cette sainte wehme, — insaisissable, car elle était partout, — tenait en émoi tout ce qui était jaloux de sa réputation. Elle avait ses favoris, elle avait aussi ses victimes. En somme, elle entretenait dans la marine le désir de bien faire, et je connais peu de ses arrêts que le temps n’ait pas ratifiés.

À l’époque où la Ville-de-Marseille était dans l’Archipel, on commençait