Page:Revue des Deux Mondes - 1864 - tome 52.djvu/943

La bibliothèque libre.
Le texte de cette page a été corrigé et est conforme au fac-similé.

à se préoccuper plus généralement des questions d’artillerie. Les questions de gréement, d’architecture navale, de manœuvre, avaient cependant encore le pas. La chose était naturelle, on avait débuté par ce qui offrait le plus d’attrait. Bien des gens s’imagineront que le goût en marine n’est pas chose qui puisse se définir. Je le croyais aussi jusqu’au jour où ma bonne fortune me mit en contact avec un des esprits les plus judicieux que j’aie rencontrés en ma vie. Le lieutenant de vaisseau Larrieu, mon compagnon sur la Ville-de-Marseille, n’a point failli à ses débuts : il est aujourd’hui vice-amiral. J’appris de lui que ce qu’il fallait trouver beau, c’était ce qui pouvait contribuer aux qualités essentielles du navire, et qu’en y regardant bien il n’y avait point de coque agréable à des yeux exercés qui ne divisât facilement le fluide et ne se défendît avec avantage contre la vague. Dans les moindres détails, la raison et l’expérience devaient se trouver d’accord avec l’instinct. Je prêtai d’abord une oreille distraite à ces leçons, puis insensiblement j’en vins à en comprendre le charme. Les écailles tombèrent de mes yeux : je m’étonnai d’avoir admiré si longtemps, sur la foi d’un goût perverti, des constructions disgracieuses et massives. En réalité, je n’avais rien admiré, j’étais resté indifférent. La forme d’un navire, sa mâture, son gréement, ne me disaient rien ; je n’aimais pas mon métier. Je commençai à l’aimer le jour où ces questions m’émurent. Alors seulement les heures me parurent courtes, et la manœuvre me devint attrayante. Supprimez l’amour du cheval, où sera l’intérêt du turf ? Jamais plus grand service ne m’avait été rendu. Il me semble que j’aurais langui dans la marine, si le goût nouveau que l’amitié avait éveillé chez moi ne m’eût ouvert une source inconnue de jouissances. Je ne fus pas le seul à recueillir ce bienfait : une génération entière d’officiers a grandi dans les sentimens qui m’ont fait ma profession chère. Ce qui distingue le corps de la marine pendant toute la durée du gouvernement de juillet, c’est l’amour du métier pour lui-même, c’est un esprit de recherche et d’élégance qui a dû faire place, avec la transformation de la flotte, à des préoccupations plus austères.

Trop éprise peut-être du côté pittoresque des choses, l’agitation de la jeune marine n’en mit pas moins en mouvement dans la flotte tout ce qui, sans l’impulsion de ce zèle passionné, serait longtemps encore demeuré immobile. Matériel, personnel, discipline, organisation intérieure, rien ne put échapper à la fièvre qui venait de nous saisir. La transformation fut complète. Ce que la jeunesse rêvait, l’âge mûr se chargea de l’accomplir. Des volontés fortes et calmes se mirent au service de nos impatiences. Il avait été de mode pendant quelque temps de tout dénigrer chez nous. Bientôt au